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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)

25 juin 2022

Un retour plein d'imprévus

Vendredi en début de soirée. Nous arrivons à l'hotel en taxi, chargeons les bagages et partons en direction de l'aéroport. Il est 18h. Notre avion part à 22 heures et quelques. Nous sommes à l'aise. Pas tant que ça car c'est  une pagaille monstre dans Dar Es Salam. Le chauffeur nous demande si notre avion est à 20h et a l'air inquiet. Nous lui disons que nous devons être à 20h à l'aéroport car notre avion décolle à 22h et quelques. Tout va bien.

Vers 19h40, nous arrivons à l'aéroport et nous orientons vers l'embarquement. Cool. Il n'y a pas de queue, nous sommes bien en avance. L'hotesse prend le passeport de Didier et lui indique qu'il y a un problème. Son vol Dar Es Salaam-Nairobi n'apparait pas. J'essaye pour moi. C'est OK. Elle appelle un responsable qui téléphone à Kenya Airways. Apparemment, le vol de Didier a été décalé au 1er juillet. Boum.

C'est vrai que quelques jours avant, Didier avait demandé à l'agence de voyage du CNRS de faire un devis pour pouvoir rester quelques jours de plus. En effet, l'idée était de partir en prospection chez les Sandawe pour préparer une vraie mission de terrain ensuite. Mais finalement, Didier n'avait pas validé de changement. Sauf qu'apparemment, l'agence a cliqué quelque part où il ne fallait pas. Le comble est que son vol Nairobi-Paris est apparemment maintenu. Il lui manque juste le vol Dar Es Salaam-Nairobi

On me demande si moi je veux partir. Je réponds que j'attends un peu pour savoir si on ne peut pas arranger la situation. L'hotesse me répond que je n'ai pas le temps. L'embarquement dans l'avion commence dans 5 minutes. Quoi ? Je regarde mon carton. L'avion décolle à 20h35. On s'est complètement planté sur l'heure de départ. Par chance, en voulant prendre de l'avance, on est arrivés in extremis pour embarquer mais trop tard pour arranger l'affaire de Didier. Quels glands nous sommes ! Si on n'avait fait les check in à l'avance, on aurait (1) détecter le problème pour Didier (2) pris conscience de l'heure de départ. Ca me servira de leçon. Toujours mettre des bretelles et une ceinture dans ce type de mission. Ne pas jouer border line, sous peine de se retrouver en caleçon comme ce soir.

Je suis pris d'un dilemme. Je ne veux pas laisser Didier tout seul, notamment avec ses 45 kg de bagages mais comment vais je pouvoir justifier de ne pas être parti ? Il y a aussi mon transit en TGV pour rentrer à Aix. C'est la période des vacances. Les TGV sont pleins... Et puis trouver une solution pour deux, c'est peut être deux fois plus compliqué que pour un car il faut trouver deux places dans les appareils. Finalement, Didier me dit de partir. Je lui donne tout mon fric et je cours. Stop. Mon sac à dos est hors gabarit. Desk 15. J'arrive au comptoir 15. Il n'y a personne. Je retourne au desk normal. On me dit de déposer le sac et d'appuyer sur le bouton orange. Je fais le boulot des hotesses. Enorme. Et faut aussi que j'aille faire le plein de kérozène de l'avion et que je vide les chiottes ? Je me speede. Mon sac est dans le tapis roulant et rejoint les autres bagages. Je cours vers l'embarquement. Controle COVID. Merde. Faut que je retrouve mon certificat. C'est bon. Je cours. Controle douane. Je donne mon passeport. "where is the form ?" quel formulaire de merde je dois encore remplir ? Je l'ai rempli en arrivant. Apparemment, faut recommencer en sortant. Je cours chercher un formulaire. Mêmes informations qu'en arrivant. Comment tu t'appelles ? Ou es-tu né ? Quel est ton numéro de passeport ? Est-ce que tu préfères le vin rouge ou le vin blanc ? Est-ce que le PSG sera champion d'Europe avant la fin du XXIe siècle ? J'ai pas de stylo. Le douanier m'en passe un. Je remplis ça comme un chaoui. Le douanier me prend en photo et me rend mon passeport. Ouf. Je cours. Controle sécurité. J'enlève mes chaussures. Je sors le PC et la tablette du sac. Je mets mes papiers et mon téléphone dans la bassine qui passe au scanner. Je passe moi même. Je ne bippe pas. Ouf. Je me rechausse. Je mets tout en vrac comme je peux. Je cours au comptoir 14 comme inscrit sur mon billet. Ils sont en train de fermer les portes. Merde trop tard. Ca c'est joué à une minute près. Je suis bloqué moi aussi à Dar Es Salaam parce qu'on n'a pas été fichu de lire correctement les horaires d'un billet d'avion. Je m'en veux. Non ! C'est pas le vol pour Nairobi à la porte 14. Le vol pour Nairobi est décalé au comptoir 17. Je cours. Je vois la porte 17. Il n'y a personne dans la file d'attente. J'entends un appel pour cette porte d'embarquement. J'ai rien compris mais je suppose qu'ils m'appellent en last call. J'arrive comme une fusée, essouflée. Je présente mon carton d'embarquement. L'hotesse me dit d'attendre sur un banc. Que se passe-t-il ? L'avion va partir et j'attends. J'attends quoi ? Tout simplement que l'embarquement commence pour les classes eco. Quoi ! Tout cette course pour rien. Anyway. On s'en fout. Je vais avoir mon avion. Je souffle. J'en profite pour appeler Didier pour avoir des nouvelles. Il a appelé l'agence de voyage qui, apparemment a merdé. Ils sont en train de lui trouver une chambre et un vol pour demain. Ouf ! Je me sens soulagé.

L'embarquement et le voyage se fera tranquillement jusqu'à Nairobi où, apparemment, nous avons atteri un peu à l'écart. Au lieu de sortir par une passerelle, ce sont des bus qui viennent nous chercher au pied de l'avion. Ca prend du temps et je commence à voir l'heure tourner. Controle COVID super restictif au Kenya. Puis nouveau passage de sécurité, comme si nous embarquions directement de Nairobi. A mon avis, c'est parce que nous n'avons pas débarqué où il faut. Le problème, c'est qu'il y a une centaine de personnes devant moi et ça n'avance pas. Il n'y a que trois colonnes au lieu de la dizaine prévue. J'ai entendu dire que l'activité des aéroports avait été complètement destructurée par le COVID. En effet, confinement  = peu d'avions = activité minimale des aéroports = licenciement des personnels = reconversion. Comme en ce moment, ça repart, il manque de personnel. Bref, je commence à m'inquiéter sérieusement car mon avion part dans 30 minutes et je suis loin d'être à la porte d'embarquement. Je finis par être controlé mais en me rhabillant, j'oublie ma banane avec passeport, porte-feuille, tout ce que je garde sur moi depuis trois semaines. Heureusement, l'agent de contrôle m'interpelle en me montrant la banane. Je la bénis. Merci Madame de votre vigilance. J'arrive à temps dans l'avion Air France pour Paris. Je suis côté hublot. Je m'effondre sur mon fauteuil et il faudra me réveiller pour le repas et le petir-déjeuner. Ce dernier me mettra les boyaux en morceaux. Quelle ironie ! Je passe quinze jours à manger de la chèvre massai, des crudités et de l'oignon, j'ai rien. Je fais un repas Air France et tout se détraque. Par WhatsApp, Didier me demande si j'ai mangé du fromage ou des laitages. Effectivement, du camembert et des yaourts. Ca fait trois semaines que mon intestin n'a pas vu de produit laitier et il réagit. Avant de récupérer mes bagages, je cherche d'abord des toilettes (en courant une fois de plus mais pour d'autres raisons). J'arrive finalement au tapis des bagages et ils sont là. J'embarque tout sur un chariot. J'ai ma valise soute, mon sac à dos soute et ma valisette cabine. Je suis OK. Je cherche un magasin de téléphonie pour pouvoir remettre ma carte SIM française. Une jeune femme d'un kiosque à forfait pour étrangers me dépannera. Je récupère alors mon numéro français où m'attendent des messages. Notamment, un message du taxi que Didier et moi avions réservé à l'aller. Un gars est là pour moi. Il m'identifie. Me prend le chariot et m'embarque dans un taxi, direction gare de Lyon. C'est trop bien d'être enfin pris en charge tranquille. J'arriverai finalement bien en avance à la gare de Lyon, prendrai le temps de boire un bon café. Didier est lui aussi sur le chemin du retour. Cool. Assis dans le TGV qui me ramène à la maison, j'écris les dernières lignes de cette mission en Tanzanie.

 

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24 juin 2022

Dar Es Salaam : dernier jour avant le départ

Aujourd'hui, c'est le dernier jour. On est à peu près tranquille. Etant donné notre emploi du temps bien chargé depuis quinze jours, nous n'avons pas pu nous dégager une journée pour visiter Zanzibar. Dommage. On se contentera de Dar Es Salaam en express car nous n'avons que la matinée. On doit rencontrer Michael vers 15h ainsi que le responsable du département pour préparer le contrat de collaboration entre l'Université de Dar Es Salaam et nous.

De l'hotel, on découvre le paysage sur les hauteurs de Dar Es Salaam en prenant le petit-déjeuner.

On boucle nos bagages, on les dépose dans la bagagerie, on prend un taxi : direction le centre ville et le musée national de Tanzanie.

Dar Es Salaam, appelée aussi Dar ou DSM, est une métropole moderne. Depuis quelques années, poussent des buildings à la place des townships.

 

Le musée National de Tanzanie est plutôt rudimentaire. La salle la plus intéressante concerne les traces des premiers hommes. Les gorges d'Olduvai se situent dans la région d'Arusha, au nord de la Tanzanie. Elles se classent parmi les sites paléoanthropologiques les plus importants au monde. Elles ont livré des outils en pierre, des fossiles animaux et humains extraordinaires, dont les âges varient  entre 1,8 million d'années et 400 000 ans. C'est grâce aux découvertes dans cette région que la notion d'homo habilis (l'homme habile) a été proposée dans les années 60.

Une jolie illustration d'une scène préhistorique me laissera un peu perplexe. Dans les commentaires, il est écrit "le camp de la partie gauche de la scène montre un groupe d'Homo Sapiens avec des huttes, dans le style des Hadza, des chasseurs-cueilleurs modernes, qui vivent dans la même région." Autrement dit, les Hadza, que nous avons enregistrés en 2020, sont des hommes préhistoriques (sic)

 

Didier aura lui aussi relevé cette vision un peu "étonnante" portée sur cette ethnie ainsi que sur les Sandawe. C'est pas nouveau. Nous savons que le gouvernement tanzanien a essayé et essaye "d'assimiler" ces peuples de chasseurs-cueilleurs qui vivent dans une totale indépendance qui dérange le pouvoir politique. De l'intérieur, ces peuples sont considérés un peu comme notre société considère les "gitans", avec une image très dégradée et très dévalorisée. De façon générale, la culture des peuples "traditionnels" est très mal mise en valeur, voire même dénigrée.

On trouvera une reconstitution à la Lascaux Chauvet mais hélas, ça fait vraiment fabriqué avec des bouts de polystyrènes mal collés et en plus, cette scène agglomère quatre sites différents dans la même grotte.

Certaines gravures sont impressionantes.

Les autres salles sont vraiment modestes. De la période liée à l'esclavage, notamment par la filière arabe de l'océan indien, pas grand chose à part une sculpture évocatrice.

J'ai bien aimé le fac-similé d'un bulletin de vote de 1958, qui laisse apparaitre le système ségrégationniste de l'époque avec un candidat "africain", "asiatique" (arabes et indiens qui sont assez présents sur les cotés de l'océan qui porte leur nom d'ailleurs) et "européen". J'aime bien à la fois le code couleur et les symboles picturaux prévus pour représenter les candidats auprès des électeurs illétrés

J'ai bien aimé aussi cette photo d'une équipe de foot tanzanienne sur laquelle il faut remarquer l'absence de chaussures car les noirs n'avaient pas le droit de porter des chaussures de foot à l'époque. Remarquer aussi la couleur de l'entraineur...

Le tour du musée sera fait assez vite. Après quelques emplettes au magasin du musée, nous voila partis vers le centre. Nous ferons escale dans un café et dégusterons enfin un vrai bon café car il est fait par des musulmans de DSM. En effet, ailleurs, le café est dégueulasse. C'est du mauvais Nescafé en poudre noyé d'eau chaude dans un mug gigantesque, à l'américaine. Beurk. Cette fois, c'est un vrai expresso mais on paye le prix. Anyway. Didier n'arrivera pas à avoir son petit gateau au chocolat. Il est gourmand comme une vieille anglaise, une "old scottish lady" comme dit Michael car Didier a du sang écossais par sa mère.

Nous nous dirigeons ensuite dans une librairie assez grande où Didier trouvera un beau livre sur les Hadza et sur la musique traditionnelle. De mon coté, j'achéterai un bouquin sur l'histoire de la Tanzanie, tellement méconnue.

Vers midi, nous avons rendez-vous avec Boniface, mon pote tanzanien Iraqw de 2020 avec lequel je suis resté en contact via les réseaux sociaux. Il est à DSM car il doit passer un entretien d'embauche pour un boulot de "webmaster-gestionnaire de système d'information" dans un hôpital de la ville. J'espère que ça marchera pour lui. Nous mangerons ensemble et nous donnerons des nouvelles. J'avoue ne pas être un fan des réseaux sociaux mais là, je trouve ça pas mal, d'avoir réussi à ne pas couper les liens malgré la distance et le temps. On s'est promis de se revoir à nouveau. Chiche.

Vers 14h30, on décolle pour l'Université, pour rencontrer Michael et le responsable du département pour préparer le contrat de collaboration entre l'Université de Dar Es Salaam et nous. Mais c'est tellement le souk dans DSM qu'on mettra une heure. On arrivera avec 30 minutes de retard. Pas grave. A l'Africaine. Hakuna Matata. Ca se passera bien. Didier fera le show et emballera la marchandise. Parfois, il promet beaucoup et ça met la barre haut. C'est bien mais ça peut se retourner contre lui car c'est pas facile de tenir ses promesses quand on en fait beaucoup. De plus, comme il a souvent tendance à connaitre et à avoir fait beaucoup de choses, il peut agacer les gens car c'est trop. J'espère que le responsable du département, qui a travaillé "modestement" sur l'analyse du discours politique, ne s'est pas senti minable face à l'étalage des savoirs en matière de musique, de phonétique et de l'analyse de la voix dans l'étude du charisme politique. J'ai globalement pas ouvert la bouche car là aussi, Didier laisse peu de place. En revanche, pendant que Didier interagissait avec le responsable de département, j'ai bossé avec Michael sur la copie des données que je lui ai remise avant de partir. Une fois la réunion terminée, on décide tous les trois (Michael, Didier et moi) d'aller boire une dernière bière et régler les affaires financières.

Le business, c'est vraiment pas ma tasse de thé. C'est bien pour ça que j'ai arrêté l'ingénieurie en startup pour préférer la recherche. Mais j'ai compris par expérience que c'est le nerf de la guerre. A quoi bon faire de magnifiques projets scientifiques, avoir les plus belles hypothèses de travail si on n'a pas les moyens de tester ça. Dans les laboratoires de SHS comme les notres, un chercheur a environ 1000 euros par an de budget de mission personnel pour travailler. Un pourboire. Pour travailler sur le terrain en Tanzanie, c'est environ 5000 euros de budget pour 2 personnes pour 15 jours, mais c'est en serrant la ceinture de partout, en logeant dans des lodges sans eau chaude, en mangeant des chapatis le matin, des haricots à midi et du maïs le soir. Sur cette mission, on a pété le budget car nous avons des déplacements hors de prix "proposés" par Michael et des indemnités journalières inconsidérées. On va avoir un dépassement de 2500 € qui compromettra la mission prochaine. Je propose donc à Michael un budget basé sur la proposition acceptée par le CNRS avec 200 € par jour tout compris. Tout le monde serre la ceinture, nous encore plus que lui. Il sera convaincu. Ouf. Mika finira par gratter 60 000 TZS (24 €) que nous lacherons sans problème. Didier est soulagé car il redoute ces joutes qui peuvent se finir mal selon son expérience. Il rendra hommage à mes talents de négociateur.

Il ne nous reste plus qu'à nous dire au revoir et à bientôt, fin novembre début décembre pour une prochaine mission. Nous prenons un taxi qui nous ramène à l'hôtel pour prendre nos bagages puis direction l'aéroport. La soirée sera plus que mouvementée.

 

23 juin 2022

Retour à Dar Es Salaam

Aujourd'hui, on rentre à Dar Es Salaam. Grosse journée de voiture, comme à l'aller. Environ 12 heures de route. Michael a proposé un départ à 5h du matin pour qu'on puisse s'arrêter en route à Bagamoyo. C'est une ville avec de vieux batiments coloniaux. Comme c'est sur la route, ça vaut la peine de prendre le temps de la visiter. Didier et moi mettons nos réveils vers 4h45. Douche. Bouclage des valises. On est prêts à 5h. Pas de signe de vie de Michael. On papote. 5h30. Didier m'informe que la veille, Michael est allé manger avec un de ses frères d'Arusha. Je sens le plan foireux. Style, il s'est couché à 4 heures du matin. Du coup, on emballe le matériel et on arrive à trouver deux motos en location. Direction Dar Es Salaam.

Non, c'est une blague. Plusieurs de nos contacts nous ont cru quand on a envoyé cette photo prise par Didier. On a bien rigolé.

A 8h, Didier et moi déjeunons comme d'habitude. Aika, la serveuse du lodge est surprise de nous voir encore là car nous lui avions dit que nous partirions tôt. C'est vraiment quelqu'un de sympa qui ne parle que Swahili. C'est bien, ça m'a fait progresser et surtout, ça l'a fait bien rire car je confonds plein de mots, j'inverse des syllabes.

Lors des élections législatives françaises, Rachel Kéké, de la France Insoumise, a été élue députée. Elle est femme de ménage, syndicaliste. J'en avais parlé à Michael qui avait trouvé cela hallucinant. Je lui ai expliqué qu'en France, on peut avoir reçu une bonne éducation scolaire mais être femme de ménage. C'est pas le cas ici. Une grosse partie de la population n'est pas allé du tout ou assez à l'école pour espérer avoir un boulot intéressant. Beaucoup font de la manutention, du gardiennage, du ménage, de la vente ambulante... Des milliers de petits boulots de survie. Même si il n'est pas parfait et même si il est un peu en crise, notre système éducatif est à des années lumières de ce qui se passe ici. Aika n'a aucune chance de faire autre chose que de nettoyer des chambres et faire la cuisine. Aika députée ! Ca dépasse l'entendement ici.

Vers 9h, Michael émerge. Il est déchiré. Il déjeune et nous prenons la route vers 10h. Pour rattrapper un peu notre retard, Michael roule comme un Fangio. Bilan. Il se prend une prune pour excès de vitesse : la police fait des controles avec des radars mobiles. Au lieu des 30 000  TZS d'amende officielle, il glissera un billet de 5 000 TZS au policier qui indiquera que c'est pas assez. Il rajoutera 10 000 TZS. Ni vu ni connu. On repart. Moins d'une heure après. Rebelote. Cette fois c'est un franchissement de ligne blanche. De façon généralisée, personne ici ne respecte ce marquage. Un peu par habitude néfaste, un peu par nécessité car il y a parfois des camions chargés comme des mules qui roulent à moins de 20 km/h quand ça monte : ça serait presque dangereux de rester coincé derrière. Bref. Nouvelle prune mais cette fois, rien à faire car c'est un gradé qui a signalé l'infraction. En fait, on est sur la route des grandes réserves naturelles et aux abords du Kilimandjaro. La police veille sur cette artère vitale qui draine des milliers de touristes. Arrivés à Moshi, nous descendons vers le sud et on rejoint alors les grandes plaines du FarEast. Plus de flics et surtout, beaucoup moins de circulation. Michael me demande de prendre le volant et j'accepte. Pas évident de conduire à gauche, avec une voiture à vitesse automatique sur des routes cabossées avec de tout sur la route : des piétons, des vélos, des motos, des anes, des troupeaux, des enfants, des trous, des ralentisseurs de 30 cm de haut... Je dois mobiliser toute mon attention pour m'intégrer dans la circulation. Dans les commandes du tableau de bord, tout est inversé. Un coup sur deux, j'active les essuis glaces au lieu du clignotant. Aux ronds points, je dois rester super vigilant car on tourne à l'envers. Je dois faire gaffe aux priorités ... à gauche. Aux intersections, quand on tourne à droite, faut que je me rappelle de me mettre sur la voie de gauche... Un exercice mental et moteur épuisant. Heureusement, Didier est à coté et on papote. Michael finit sa nuit à l'arrière.

A un moment donné, je dois doubler un camion, ce que je fais. Je suis donc sur la voie de droite. J'aperçois alors sur la voie de gauche une chèvre au milieu de la route. J'ai pas vu si le camion l'a évité, si elle a fait un saut de cabri ou si elle a finit dans le pare-choc. J'ai pas vu. Si j'avais pas doublé, je ne sais pas si j'aurais eu le réflexe de l'éviter. Curieusement, je n'ai jamais vu le moindre accident sur les routes. Les seuls cadavres d'animaux qu'on voit sont ceux de chiens (ou apparentés?). J'en parle avec Didier et on conclut qu'on n'en voit pas car ceux qui n'ont pas compris qu'il fallait rester bien au bord et ne pas s'aventurer sur la route ne sont plus là depuis longtemps. Sélection naturelle accélérée. Idem pour les humains.

A un moment donné, arrive ce que je redoutais. Un militaire me fait signer de m'arrêter. Je cafouille un peu en voulant mettre le clignotant, j'active les essuis-glaces car c'est inversé par rapport à nous. Je me gare au bord mais un peu à la tchétchène. J'arrive pas à trouver le bouton pour descendre la fenêtre... Le militaire me salue et me parle en anglais. Ouf. Je le salue. Je lui explique qu'on va à Dar Es Salaam. Il me demande d'où on vient. "Ufaransa". Son visage éclaire un beau sourire et il m'indique que les Français sont les meilleurs (en foot j'imagine), que nous sommes les bienvenus en Tanzanie et il me souhaite bonne route sans me demander mon permis. Car je n'ai que mon permis français qui date de 1988, c'est à dire le vieux format en papier rose avec une photo où j'ai 18 ans, les cheveux noirs, bouclés, mi-longs... Michael et Didier se moqueront de moi et traiterons le permis français de moyen ageux. En effer, les permis tanzaniens ressemblent à une carte bleue et sont renouvelés régulièrement. J'ai un permis international mais cette fois, je ne l'ai pas pris. Sans conséquence cette fois. Merci Zidane et Mbappé d'être les ambassadeurs de la France un peu partout.

Vers 18h30, le soleil se couche. A 19h30, c'est nuit noire. Je galère vraiment car la plupart de ce qui circule en bord de route n'a pas d'éclairage. D'autre part, il n'y a pas vraiment de marquage au sol à gauche. Comme je n'ai pas encore bien les dimensions de la voiture en tête, comme je dois inverser mes repères, comme je vois les obstacles au dernier moment, comme les voitures en face ont des phares un peu trop puissant, j'ai l'impression d'être dans un jeu vidéo sauf que là, c'est pour de vrai. Je me fais frayeur sur frayeur. Vers 20h, Michael prend le relai. Ouf.

En arrivant sur Dar Es Salaam, ça bouchonne. En fait, ça bouchonne 24h sur 24. Au départ, on voulait se rapprocher du centre ville pour être sur place demain matin. Mais comme il est 23h passé, on propose à Michael de nous laisser à un hotel sur sa route pour qu'il rentre chez lui le plus vite possible. On n'a pas eu non plus le temps de faire un point, notamment financier. C'est très important car les tractations financières peuvent ruiner des collaborations. En fait, notre budget ne tient pas la route : soit on travaille aux frais réels mais il faut alors toutes les factures, ce qui est impossible en Afrique;  soit on travaille au forfait mais alors il faut tout intégrer dans le forfait journalier : logement, repas, ET transports intérieurs, dédomagement des participants... Or, dans le budget que Michael a proposé à Didier et que je n'ai pas vraiment vu, il a prévu à la fois un per diem (dédomagement forfaitaire) mais il fait aussi apparaitre l'utilisation de sa voiture comme location, le gasoil, le dédommagement des sujets. Brefs, ces derniers frais sont comptés deux fois et doivent être intégrés dans le per diem, ce qui va considérablement réduire le per diem résiduel. Au lieu d'avoir 200 € par jour pour trois, nous n'aurons que 100 € pour trois car l'autre moitié est bouffée par les frais de transport et d'expérimentation. 30 ou 40 € par jour par personne, c'est assez pour se loger dans un lodge africain (pas un hotel européen) et manger à l'africaine mais ce n'est pas ce qu'espérait Michael. Va falloir négocier. Ferme.

On trouve finalement un hotel très étrange, hyper moderne en apparence, paumé au milieu de nulle part. Vose Hotel. Probablement un investissement sur les hauteurs de Dar Es Salaam, peu exploitées pour le moment mais qui pourraient flamber dans le futur ? On s'installe rapidement, on mange un bout. Puis j'étudie le bilan financier avant de me coucher pour une bonne nuit.

 

22 juin 2022

Au tour des Iraqw

Aujourd'hui, nous avons rendez-vous avec Maarten Mous, un célèbre linguiste des langues africaines, vieil ami hollandais de Didier. Nous avions fait connaissance en 2020 lors de la saison 1. C'est quelqu'un que j'aime beaucoup avec un mélange de rigueur néerlandaise arrondie par des années de pratique africaine. Je le trouve vraiment sympathique, attentif, avec une voix douce mais convaincue. C'est un plaisir de travailler avec lui. C'est une mine de connaissances. Il a un réseau africain tentaculaire. Il va partir à la retraite prochainement comme Didier. J'espère que les deux compères vont rester sur la place et transmettre leurs savoirs et savoir-faire. Il faut absolument pérenniser tous ces travaux de linguistique de terrain sur l'est africain.

Maarten arrive avec deux Iraqw, Tomas et Nicodemus. L'idée est d'enregistrer la production d'éjectives de l'Iraqw pour augmenter la masse de données au nous avions récoltées en 2020. En effet, lors de cette session, nous avions eu des déchets dans nos enregistrements. De plus, les locutrices n'avaient pas voulu passer par l'exercice de la sonde dans le nez. Il nous fallait donc des locuteurs en plus. Tomas et Nicodemus sont Iraqw et habitent Arusha. Tomas est un érudit Iraqw et propose de adaptations dans le corpus prévu.

Puis Didier fait sa démo de sonde. Je pense que son nez est une autoroute à sondes à présent. Ca glisse comme sur des roulettes. Au début, Tomas est plutôt réticent. Maarten le convaincra d'essayer. Nous l'aiderons un peu à passer le virage du voile du palais et ouf, ça passe. Nous aurons un beau corpus d'éjectives.

Puis vient le tour de Nicodemus. C'est un futur enseignant. Il finira sa formation en juillet et il ne sait pas où il sera nommé. Il aimerait travailler dans le district de Manyara, c'est à dire entre Arusha et le pays Iraqw.

Une fois les enregistrements terminés, nous partons manger et nous découvrons que le serveur du snack local est aussi Iraqw mais nous ne le savions pas car incapables de faire la différence dans les différents groupes de la région. De l'importance cruciale des contacts locaux pour les travaux de linguistique de terrain.

Didier et Maarten vont s'installer à l'hotel Equator pour bosser sur la production d'un disque de musique Iraqw. Michael est occupé. Je rentre alors à notre Lodge Rafiki. Je commence à refaire le conditionnement de notre matériel dans nos quatre valises. Heureusement, que j'ai noté quel matériel allait dans quelle valise. Ca me garantit du poids homgène de chacune. En effet, le pèse bagage de Decathlon ne marche déjà plus. L'écran est tout noir. Quelle merde !

On finira dans les quartiers commerçants d'Arusha à chiner des livres et des souvenirs. Je veux absolument ramener des choses de Tanzanie et pas des objets ou tissus made in China. C'est pas évident. Il n'y a rien pour les touristes.

Réveil prévu à 4h45 pour partir à 5h direction Dar Es Salaam.

 

21 juin 2022

Histoires Massai

Aujourd'hui, deux choses importantes :

1. enregistrer Michael en espérant avoir des données complètes de pression en passant par le nez. Je fais le pari qu'il va y arriver car c'est un néo guerrier Massai

2. aller au village de Leyewo filmer sur site des anciens raconter des histoires en Massai

On commence par Michael. Tout se passe bien au niveau audio mais le glotto part en biberine. Zut. Je peux rien y faire.

Puis vient le moment du protocole des implosives qui nécessite, si possible, l'insertion de la sonde. Des larmes lui viendront aux yeux mais c'est un processus tout à fait normal. Ca fait cela chez tout le monde. Puis ça passe. On aura notre super corpus.

C'est super. Nous avons dans la boite 8 locuteurs et 4 locutrices Massai avec pas mal de choses. On va bien travailler. Une fois toutes ces données archivées, on plie le matériel pour que la femme de ménage puisse nettoyer la chambre de Didier qui nous sert de studio. On prépare juste le minimum : les deux caméras avec leur pied, le microphone Canon avec sa bonette, le Zoom H4n qui va me servir de préampli du microphone, un casque audio et les cables nécessaires. Direction le village de Leyewo.

Comme il est treize heures, on s'arrête dans un lounge sur la route.Didier et moi ne mangerons que des fruits et des chapatis, au grand désarroi de Michael.

Le village de Loweyo, c'est aussi DustLand. En fait, c'est toute la région qui est faite de ce sol sableux terrible qui accouche de nuages de poussière. Je demande à Michael si les gens n'ont pas de problèmes respiratoires. Il me réponde "oh, for sure. All of them."  Je trouve que les vieux ont la voix cassée. Tu m'étonnes, ils respirent des particules depuis 60 ans, leurs poumons doivent avoir quelques problèmes.

Loweyo est tout fier de nous accueillir dans son village. Il a perdu son père mais ses oncles sont ses pères. Il nous présente l'entourage. Il me soumet à un test : me rappeler des noms des personnes. Heureusement que je fais le blog et donc, je prends le temps de me rappeler de chaque visage et de chaque prénom. Je reconnais sans problème Mirichi, notre premier Massai, ainsi que Seirgulan. Malheureusement, Lengiten n'est pas là. Il a été appelé en urgence pour des affaires politiques. Est-ce en rapport avec les émeutes du Ngorongoro (voir article de la veille) ? Loweyo restera fuyant et je n'insisterai pas.

On s'installe dans un endroit un peu à l'écart pour avoir du calme. Les anes nous dérangeront de temps en temps, mais pas tant que ça. On installe cinq chaises et je pose la caméra devant.

 

L'idée est d'être le moins intrusif possible, juste témoin et recueillir ces témoignages de la culture Massai. J'ai improvisé le design avec le matos que j'ai emporté d'Aix. J'ai eu la bonne idée de prendre le microphone Sennheiser hyper directionnel et surtout, sa bonette et sa peau de chèvre qui me permet une prise de son extérieure sans avoir le bruit du vent. Zut. Il faut une alimentation phantom que je n'ai pas. Je branche donc le microphone sur un enregistreur portable Zoom H4n qui me sert de préampli micro. Je sors alors du Zoom H4 et je me branche sur une entrée micro de la caméra JVC du Labo de Paris. Je suis en mono mais ça marche super bien. On dirait que je suis à coté d'eux. Ce moment sera un grand moment car même si Didier et moi ne comprenons rien au contenu des histoires, on en ressent l'intensité : le conteur pose le cadre, monte en puissance jusqu'à un moment critique, pause puis conclut ce qui déclenche des réactions et le passage à une autre histoire. Je sens aussi que les deux jeunes, Michael et Loweyo, sont supers contents et touchés de participer à cette aventure. Je suis sûr que cette tradition orale se perd et cette transmission, même si elle reste courte et éphémère, est un beau moment de la vie. Michael me confiera dans la soirée qu'il aimerait bien éditer un livre pour enfants d'histoires Massai en Massai et pourquoi pas traduites. Beau projet.

 

Comme d'hab, Didier fera de beaux protraits.

 

Nous partirons contents de cette tranche de vie. Pas certain que nous reverrons ces gens. On verra.

La voiture de Michael est à nouveau pourrie. Il souhaite la laver et nous allons dans un endroit où l'on peut faire laver sa voiture et boire un coup. C'est parfait. Nous boirons notre bière du soir quotidienne. Nous nous ferons aborder par un vendeur ambulant de lunettes et devinez quel est le touriste qui en achètera une paire.

Je ferai une blaque douteuse mais qui me fait sentir que la complicité s'installe entre nous. Je dirai à Michael qu'on dirait un "men in black". Il explosera de rire.

 

 

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20 juin 2022

Retour au village

Aujourd'hui, on a demandé à Michael de pouvoir à nouveau enregistrer des femmes. Nous avons sept locuteurs mais seulement deux locutrices. Le seul endroit pour enregistrer des femmes Massai est d'aller au village. Je comprends entre les lignes qu'il est inconvenant pour l'une d'entre elle de venir dans un lodge faire des expériences, notamment avec des wazungu. Nous replions donc le matériel et repartons vers le pays de la poussière.

On s'arrête en route pour acheter à manger pour midi. Je tombe sur une palette de bouteilles vides de coca et soda. Ouf, ici, ils continuent à consigner les bouteilles en verre au lieu de multiplier les déchets plastiques. Finalement, ils ont dix ans d'avance sur nous en matière de recyclage et de réduction des déchets.

Je prends aussi le temps de photographier une superbe église chrétienne, probablement évangéliste mais je n'en suis pas certain. La religion chrétienne est assez présente ici mais essentiellement dans la mouvance protestante avec notamment un fort prosélytisme. Au niveau des études linguistiques, cela nous pose un problème car il existe un organisme qui s'appelle la SIL (Summer Institute of Linguistics) qui est une organisation chrétienne évangélique à but non lucratif dont le but principal est d'étudier, de développer et de documenter les langues, en particulier celles qui sont moins connues, afin d'élargir les connaissances linguistiques, de promouvoir l'alphabétisation, traduire la Bible chrétienne dans les langues locales et aider au développement des langues minoritaires. Notre problème est que si nous souhaitons étudier une langue dont la population est sous l'égide de la SIL, nous sommes un peu bloqués, notamment car notre objectif n'est pas de traduire la bible. C'est exactement ce qui nous arrive pour notre projet sur le Sandawe qui est une langue à clics que nous souhaiterions intégrer dans notre projet.

Nous arrivons au village et sortons le matériel de la voiture pour nous installer. Au passage, je prends une photo de la technologie africaine en terme de conception d'enceintes audio. Là encore, du pur recyclage qui, j'en suis sûr doit bien fonctionner.

Nous commençons notre séance avec Ndendila, 60 ans environ.

Tout se passe bien jusqu'à ce que l'électroglottographe commence à faire n'importe quoi. Cet appareil sert à mesurer l'accolement des cordes vocales. On pose deux électrodes au niveau du larynx. L'appareil injecte un courant très faible qui passe bien quand les cordes vocales se touchent et moins bien quand elles s'écartent. Il permet une très bonne représentation du cycle d'oscillation des cordes vocales, et permet une bonne mesure de sa fréquence car il est dénué de bruits aérodynamiques (détails dans http://www2.lpl-aix.fr/~ghio/pedago-EggFR.htm). Par sécurité, le dispositif fonctionne sur batteries de façon à ce que la personne ne soit pas en contact avec le courant électrique du secteur. Malheureusement, cet appareil, que j'ai récupéré au labo de phonétique de Paris juste avant notre départ, a des batteries défectueuses qui mériteraient d'être changées. Voilà ce qui arrive quand on ne prépare pas assez une opération de terrain ou quand une partie des outils n'est pas sous votre contrôle. Tant pis, on fait avec.

Panne de glotto en direct.

Arrive ensuite Magadalena. C'est une soeur de Michael.

Elle a, avec elle, un jeune enfant qu'une des mamans du kraal gardera pendant l'enregistrement. Deux choses me turlupinent sur cette technique de maintien des bébés. Comment arrivent-elles à mettre le bébé dans le dos toutes seules ? Je suis sûr que si j'essayais, je le ferai glisser un coup sur deux, ce qui n'est pas conseillé. Qu'est-ce qu'il se passe quand il fait pipi ou caca ? Car c'est sur, les couches jetables n'existent pas ici. J'essayerai d'avoir la réponse avant de partir.

Comme d'habitude, nous enregistrons en audiovisuel le consentement des participants.

Tout ira bien à part cette histoire de glotto capricieux.

On finit dans l'après-midi. Les femmes nous apportent alors le repas. C'est comme ça chez les Massai. Pas question de faire la cuisine ou même débarasser les assiettes. Michael me "réprimandera" quand je ferai mine de le faire. Au menu, des avocats tombés de l'arbre et de la viande bien sûr.

 

Nous comprenons que la journée est finie et que nous en resterons là. Nous voulions enregistrer Michael comme dernier locuteur mais il ne semble pas motivé. Je le comprends. Pour pouvoir partir en mission avec nous, il fait son travail administratif d'enseignant-chercheur universitaire entre cinq et huit heures du matin.

Nous parlons un peu de politique car les résultats des élections législatives en France me préoccupent, notamment le carton plein du front national en région Sud. Il nous confie qu'en ce moment, il y a de violents affrontements entre le gouvernements et les Massai. En effet, le gouvernement tanzanien est en train de chasser les Massai de la région ancestrale du Ngorongoro, qui est une réserve naturelle. En premier abord, en occidental écolo, on pourrait se féliciter de cette opération de préservation de la biodiversité. Mais cette vision est complètement décalée. Primo, les Massai vivent de façon ancestrale en éco système avec la faune sauvage. Deuxio, ce sont plus de 50 000 personnes qui vont être déracinées et "déplacées" dans des régions peu peuplées du Tanga. C'est violent et ça a un relent de passé européen nauséabond. Tertio, cette préservation va permettre de faire venir un max de touristes qui viendront se prendre en photo devant les zèbres, les girafes et autres big five. Il y a même un projet de louer une partie du territoire pour en faire une réserve de chasse pour les émirs du golfe. Voir détails. Car c'est certain, le tourisme des safari est une manne financière énorme pour la Tanzanie. Voici ci-dessous quelques prix de la location d'un logement pour une nuit dans le Serengeti sachant que (1 250 000 TZS = 500 €).

Imaginons nous en France avec un gouvernement qui veuille faire du Parc National du Verdon une réserve naturelle inhabitée pour le plaisir de richissimes kayakistes, parapentistes, grimpeurs de falaises ou pour donner des sensations de nature sauvage à des émirs du golfe. On évacue Vinon, Gréoux, St Julien du Verdon (dommage pour toi Yo), Moustiers, Castellane, Comps... direction, la plaine de la Crau entre Salon et Arles. Des tentes sont prévues mais par certain qu'elles résistent au mistral.

C'est compliqué tout ça. Michael est lui même pris dans ses contradictions. Il regrette la perte des traditions mais il a un mode de vie plus moderne que le mien. Il nous fait manger dans les restau branchés bling-bling de Dar et d'Arusha. On écoute du rap tanzanien de longue...  Compliqué tout ça.

Il nous invite à découvrir le domaine de son père qui possède beaucoup de terres aux alentours. Il nous montre l'endroit où peut être il viendra faire construire sa maison. Mika est vraiment un modèle pour tous les enfants du coin. C'est le petit gardien de vaches qui est devenu Professeur à l'Université de Dar Es Salaam.

 

Il nous explique que son père a été très moderne. Il a compris que pour survivre, les Massai devaient faire de l'agriculture en complément de l'élevage. Il a donc transformé les environs en champs. Hélas, cette année, c'est la catastrophe. Pas assez d'eau. Je lui demande si il y a possibilité d'irriguer. Il me répond que non. Pourtant, au loin, on aperçoit le Mont Meru et j'imagine qu'à la saison des pluies, ça doit dévaler. Mais là encore, c'est pas simple.

L'après-midi touche à sa fin, on remballe tout et on quitte "dustland", le pays de la poussière.

Mika prend un autre chemin pour rentrer. Il prend le périph d'Arusha, une route nouvelle qui contourne la ville et autour de laquelle se construisent des résidences nouvelles. Ca ne vous rappelle rien ?

Au bout d'un moment, il met son clignotant à droite et emprunte une route en terre. Il veut nous montrer une autre partie de sa famille. C'est l'endroit où deux des femmes de son grand-père se sont installées (si j'ai bien compris).

C'est un village complet de "frères" et "d'oncles" à l'africaine qui défile.

 

Rencontres arrosées par une eau fraiche du Kilimandjaro.

Et en repartant, on s'arrête sur un chemin pour faire la vidange et qu'est ce qu'on voit au loin de façon exceptionnellement claire : le mont Meru

Puis en tournant la tête à droite, je demande à Michale "what is the name of this mountain on the right ?"

Il s'écrit  : le Kilimandjaro !

Maskini ! Il n'a vraiment plus beaucoup de neige.

19 juin 2022

Messe et wazee

Aujourd'hui, c'est dimanche. Mickael vient de partir au garage faire réparer sa voiture. Pas vraiment de jours fériés et weekends en Tanzanie. Si il y a du boulot à faire, ça bosse. De notre coté, on se prépare à accueillir deux Massai recruté par Loewo. Il doivent arriver vers 10h. A 11h, toujours personne. Didier me dit : "ils sont à la messe". Bingo. Effectivement, ils arrivent à 12h30. On part alors manger au snack du coin. Nos deux locuteurs sont plutot agés, des wazee. Plutôt taciturne a priori. Pas bavard non plus. Je me dis : "on va ramer cet après-midi". Didier en a marre de manger de la viande et commande de l'ugali (polenta) et deux bananes plantins rotis. La serveuse ne comprend pas cette commande, ni Loewo. Didier insistera pour n'avoir que ça. Bref. On rentre ensuite au lodge pour enregistrer. On commence par Lengiten. Une tête de dur à cuire. C'est Loewo qui explique les consignes et va faire éliciter les locuteurs. Lengiten tend l'oreille. Apparemment, il est sourd de l'oreille droite. Je suis persuadé qu'on va faire un bide complet.



C'est exactement le contraire qui se passe. Tout à coup, au moment où Loewo lui demande de produire des interjections, je l'entends à sa voix se prendre au jeu, je le vois commencer à doubler ses interjections de gestes. Il joue pour de bon. Il est à fond. Je saisis mon téléphone et commence à le filmer. Je vois dans ses yeux la malice et la complicité comme si il racontait une histoire.


Il nous produit un super corpus. On apprend en fait, que c'est une sorte de chef culturel, un conteur africain. A la fin de nos enregistrements, je propose de le filmer mais Didier a une meilleure idée. Il suggère qu'on aille le filmer chez lui dans son village, dans son contexte. Il nous répond que ce serait un grand honneur. On ira là bas mardi car il veut préparer l'événement.

Après lengiten, c'est au tour de seirgulan. Il a entre 70 et 90 ans. Il est tout gentil, il doit lui manquer les trois quarts de ses dents. On va encore ramer. C'est pas grave, nous sommes habitués.

Je suis fasciné par ses sandales et je finis par comprendre qu'en fait, ce sont des bouts de pneus coupés à la bonne taille, auxquels sont fixés solidement deux sangles. Quoi de mieux pour marcher que d'avoir des pneus aux pieds.

Il fera lui aussi un beau corpus. Il sera mort de rire quand il faudra dire "kouik", qui est l'idéophone d'un bruit de pet. Un idéophone est un mot visant à rendre compte d'une sensation, comme une odeur, une couleur, une forme ou un son. Il sera aussi bon pour produire le corpus contenant les implosives du Massai avec le tube dans la bouche.

On voit ci-dessus les données enregistrées avec Seigulan sur la prononciation du mot "aɓaá" qui signifie "craquer". En haut à gauche, c'est le signal sonore. En bas à gauche, c'est le signal électroglottographique qui rend compte de l'accolement des cordes vocales. En haut à droite, c'est le débit d'air oral, c'est à dire la quantité d'air qui sort de la bouche. En bas à droite, c'est la pression à l'intérieur de la bouche. Sur le /ɓ/ qui est une consonne implosive, on observe clairement un arrêt de la sortie d'air par la bouche (en haut à droite). C'est ce que l'on appelle l'occlusion, c'est à dire la fermeture du conduit vocal. Sur le /ɓ/ comme sur le /b/, cette fermeture se fait au niveau des lèvres. Quelle est la conséquence ? La pression dans la bouche augmente car de l'air sort toujours des poumons. C'est le phénomène normal rencontré sur le /b/. Mais que se passe-t-il sur les implosives ? Il y a un agrandissement de la cavité buccale et un abaissement du larynx. Dans la cavité buccale, qui est fermée grâce aux lèvres, la pression chute brutalement et devient négative. Lors de l'ouverture des lèvres, cette dépression devient audible lorsque l'air rentre dans la cavité orale. C'est le bruit du  /ɓ/. C'est exactement ce qu'on voulait vérifier. On a de quoi bosser pendant pas mal de temps.
 

18 juin 2022

Femmes, enfants et hommes

Aujourd'hui, nous sommes samedi. J'avoue que je perds un peu la notion du temps. Les enfants ne sont pas à l'école. Certains partent sur les bords des routes récupérer des bouteilles en plastique qu'ils vendent ensuite pour le recyclage.

Nous retournons au village. Les enfants s'amusent. Lors d'une pause entre deux enregistrements, Didier et moi sortons un peu du Kraal et faisons quelques pas vers eux. Ils s'éloignent, effarouchés, surtout les tous petits. En fait, c'est la famille Crumpets. Les grands s'occupent des moyens qui s'occupent des petits qui s'occupent des petits derniers. Par terre dans la poussière, j'aperçois ce qui ressemble à une balle. En fait, c'est un fruit qui a séché et qui ressemble à un gros noyau d'avocat. Je l'attrappe et fais le geste de le jeter comme une balle vers celle qui semble la moins apeurée. Elle l'attrappe et me la renvoit. Je relance. Et ainsi de suite. Peu à peu, tous se rapprochent et commence une série de passes.

 



Didier enverra la photo ci-dessus à ses collègues de Paris en leur faisant croire que j'apprends la pétanque aux petits tanzaniens. Certains le croiront. Très drôle.



Avant cela, nous avons dû réinstaller tout le matériel car nous avions préféré tout replier la veille. Non pas la peur du vol mais plutot que certains s'amusent potentiellement avec le matos et l'endommagent. Pas mal d'enfants passent nous voir, s'approchent des adultes et baissent la tête. Je comprends vite que c'est une marque de respect et la réponse est de leur poser la main sur la tête. C'est là un processus de communication posturale qui peut se doubler de la même intention  au niveau linguistique. Pour les vieux, c'est shikamoo. On doit alors répondre marahaba. Les vieux à qui j'adresse cette marque de respect semblent agréablement surpris. Inversement, je mettrai plusieurs essais avant de déclencher le marahaba quand les plus jeunes m'adresseront un shikamoo. Mes cheveux blancs ne trompent pas. Ca me rappelle les premières fois où on a commencé à me vouvoyer. C'était il y a bien longtemps.

Au niveau du boulot, aujourd'hui, c'est le tour des femmes. Nous enregistrerons d'abord Mama Maria qui est la mère de Joel, puis ensuite Sarah, qui est la soeur de Joel.

Mama Maria

Sarah


Ce sont elles qui ont revendiqué cela et nous nous sommes empressés d'accepter car nous avons très peu de femmes volontaires. Il faudra que j'approche le micro très proche d'elles car elles ne parlent vraiment pas fort. Effet culturel ou uniquement un hasard. Sur ce coup là, je crois plutot aux traits vocaux culturels. Les femmes n'élèvent pas la voix.
Nous avons décider d'éviter les problèmes de sonde par le nez qui finissent plutot pas très bien. Du coup, nous prendrons dorénavant la pression intra-orale en faisant passer la sonde par la commissure des lèvres. Cela nous restreint à l'étude aérodynamique uniquement des implosives bilabiales c'est à dire à celle qui s'apparente au /b/. En effet, la sonde étant placée juste derrière les dents avec cette méthode, elle se retrouve bouchée par l'appui de la langue lors des autres lieux d'articulation comme le /d/ ou le /g/. Pour étudier les autres implosives, nous n'aurons que des données acoustico-glottographiques et nous travaillerons par analogie. Mieux vaut ça que de faire fuir tous nos volontaires. Cela se passera bien et nous arriverons même à enregistrer Agostino, le jeune frère de Joel. Il a 19 ans et porte un maillot du Barça. Hier, il avait celui du Simba, un grand club tanzanien qui a perdu le championnat au profit des Yanga. Je le charrie donc un peu. On parle foot et le courant passe bien. Ce sera un excellent locuteur.

Agostino



Vers midi et demi, on nous invite à venir célébrer la naissance du fils de Joel. On se retrouve alors au milieu d'un groupe d'hommes. L'un d'entre eux a un gros couteau et découpe des quartiers de viande de ce qui reste d'un agneau. Maskini. Cet agneau, nous l'avons vu dans un enclos ce matin en arrivant. Ca c'est du circuit court. Une partie est rotie comme un méchoui, une autre est ajouté dans une marmite qui mijote.

 

La distribution est très codifiée : le nouveau père a droit à une jambe, le boucher à droit au foie, les vieux ont la tête, ..., les enfants ont les poumons. Apparemment, nous aurons droit à une partie de choix qui est une jambe. Michael la découpera et nous dégusterons avec plaisir cette viande délicieuse. Ca tombe bien : j'adore l'agneau et c'est même ma viande préférée.

Nous ferons ensuite des concours de sifflement. En fait, seuls les enfants, qui gardent les troupeaux savent bien siffler. Les adultes ne savent plus bien le faire.


A un moment donné, un gars m'interpelle et nous parlons un peu en swahili, en anglais et avec les mains. Rapidement, je comprends qu'il veut que je lui donne de l'argent pour acheter de l'alcool. Je lui réponds par la négative et l'esquive. Mickael me confirmera que j'ai bien fait. Cette situation fera echo le soir au lodge à Arusha. Une fois rentrés après les enregistrements, j'irai m'installer dans la salle du petit déjeuner pour éviter de mettre de la lumière dans ma chambre, ce qui attire les moustiques. Le jeune qui gère le lodge vient alors ma voir et je comprends qu'il me propose un thé. Je refuse dans un premier temps mais il insiste en disant que c'est pour lui. Je lui réponds alors OK mais je vois qu'on est peut être sur un qui proquo. Je finis par comprendre qu'il ne s'agit pas de "tea" mais de "tip", c'est à dire de pourboire. Je lui demande alors pourquoi je devrais lui donner un pourboire. Je finis pas lui dire qu'on verra quand on partira. J'avoue que c'est fatigant. Tu ne sais jamais si les sourires qu'on t'adresse sont pour toi ou pour ton porte-feuille. Ca me rappelle l'histoire de cette étudiante de Toulouse, Marion Longo, qui est allé faire un séjour de plusieurs moi chez les Hadza avec une vraie approche ethnologique d'immersion total. Au final, ce qui a émergé est "est-ce que tu peux nous payer une moto ?" Certes, c'est pour transporter de l'eau mais bon. Elle en a fait un film très intéressant : Boboboako, une moto en terre Hadza

Demain, c'est dimanche et j'aurais presque eu envie d'aller à la messe pour voir si les prêtres africains sont aussi charismatiques qu'on le dit. Hélas, nous avons deux locuteurs qui viennent grace au recrutement de Loewo. Mickael sera au garage pour superviser la réparation de sa voiture.

17 juin 2022

Premier jour au village Massai

Je suis le premier à me lever. Je prends une douche et pioche dans mes vêtements. La réserve d'habits propres est basse. Ca fait 10 jours que je suis parti et étant donné le matériel qu'on devait emporter, j'ai reduit les effets personnels au minimum. J'ai pris 5 sous-vêtements, 3 chemises, 3 pantalons pour 3 semaines. Faut que je fasse une lessive des sous vêtements. Je demanderai ce soir à la logeuse si elle peut nous faire une lessive pour les pantalons et chemises car dans un petit lavabo, c'est galère.

La veille, j'ai mis à charger tout ce qui se charge comme appareils électriques : ordinateurs, caméras, appareils photos, électroglotto... J'emballe tout et nous voilà partis pour le village natif de Mickael. C'est à environ 20 km. Il fait gris et pour les locaux, il fait froid. En fait, il fait environ 20 °C. On rentre en pays Massai. Je suis effrayé de constater que la majorité des cultures de maïs est brulée par le soleil. Je connais ça pour mon potager, sauf que dans mon cas, c'est pas grave. Pour eux, c'est leur pain quotidien qui ne poussera pas. Mickael est inquiet car la Tanzanie dépend aussi beaucoup du blé ukrainien qui lui non plus ne viendra pas. Ca fait beaucoup d'un coup. Sur la route, on voit passer des convois chargés de sacs de riz. Ils vont au Kenya ou certaines régions commencent à souffrir de famine. Contact fracassant avec la réalité. Quand je pense que le Kenya est un gros producteur de roses qui se retrouvent en Europe chez nos fleuristes. Promis Marion, pour la St Valentin, je ne t'achèterai pas de roses mais je t'offrirai un arbre à planter en Tanzanie ou au Kenya.

 

On débouche sur un immense plateau : c'est la steppe Massai qui aujourd'hui est balayée par le vent. Incroyable, au moment où on arrive sur place, commence la chanson "Dust in the wind" de Kansas. Pour nous faire plaisir, Mickael nous avait préparé une playlist de ballades des années 80'.

Dust in the wind, c'est peu dire. Le sol est formé d'une espèce de sable qui ne produit que de la poussière. Tu m'étonnes que les plantes aient du mal à pousser. La moindre pluie s'infiltre et le sol ne retient rien. Mickael confirme que même en saison de pluie, il n'y a pas de boue. Les Massai sont avant tout des éleveurs et l'agriculture n'est pas vraiment dans leur culture. A ce sujet, ils font venir des Iraqw chez eux car eux, sont d'excellents cultivateurs. Effectivement, notre passage chez eux en 2020 m'a laissé l'image d'une communauté largement pourvue en ressources alimentaires. A l'entrée du village, on croise des groupes d'enfants couverts de poussières de la tête aux pieds. Je serai moi même couvert de poussière en fin de journée au point de ne plus reconnaitre mes chaussures bleues devenues... sables.

 

 

A l'entrée du village, c'est Checkpoint Charlie. Mickael nous invite à rencontrer les personnalités du village qui nous accueillent chaleureusement. Si j'ai bien compris, l'homme en bleu est l'oncle de Mickael mais il l'appelle "baba", c'est à dire papa. Dans tous les cas, il ne faut pas chercher à comprendre les liens de parenté. C'est trop compliqué à comprendre pour nous occidentaux. En plus, les Massai sont polygames et le père de Mickael avait trois femmes. Le père de sont père en avait six. Pour plaisanter, Mickael dit que si on suit la progression, il en aura une et demie. La société Massai est très patriarcale, y compris au niveau langage. Les interjections sont genrées et une femme ne doit jamais élever la voix devant un homme. Je vois bien que Mickael est la génération où les choses basculent entre tradition et modernité. C'est d'ailleurs le coeur du problème social des Massai et autres peuples du continent : comment faire vivre les traditions ancestrales dans un monde hyper connecté où on peut retirer de l'argent avec son téléphone ? Le défi est immense pour cette génération.

 

L'autre drame des Massai est que la scolarisation en Tanzanie est en Swahili de façon exclusive, à l'image du système éducatif français du XIX siècle, qui a éradiqué toutes les langues régionales. Ca part là aussi d'un bon sentiment d'unité nationale. La Tanzanie a plus d'une centaine de langues et le Swahili est la lingua franca qui permet à tous de communiquer. Dommage qu'une politique de multilinguisme à l'école ne soit pas envisagée. Vaste problème. Le problème s'accroit dans le secondaire où c'est l'anglais qui prend le relai de façon exclusive. Donc de base, un collégien/lycéen est trilingue. Nous apprenons aujourd'hui que Mickael a aussi appris un peu le français car il avait postulé pour une bourse d'étude au Québec. Son histoire est d'ailleurs incroyable. Il est né dans ce village, avec un père traditionnel qui accédait à l'age adulte en tuant un lion à la main.

Le père de Mickael est à gauche sur cette vieille photo

Un jour il a dit à son père qu'il voulait aller à l'école. Pour pouvoir faire cela, il devait garder le troupeau le reste du temps car la richesse Massai se compte en têtes de bétail. Motivé jusqu'aux bouts de ongles, il a suivi une scolarisation primaire, secondaire puis universitaire. Il est parti ensuite trois ans faire une thèse en Afrique du Sud d'où il est revenu avec un doctorat en linguistique. Il a pu ainsi être engagé à l'Université de Dar Es Salaam où il poursuit une belle carrière en ayant été désigné directeur du département de "Communication" trois ans après sa thèse. L'Afrique est jeune et la jeunesse est rapidement mise à contribution sans complexe.

 Une fois les présentations faites, on reprend la voiture et on arrive dans ce que j'appelle le kraal de famille. Il s'agit d'un ensemble d'habitations, enclos, barrières, haies végétales qui permet de fermer cet espace, y vivre y compris pour le bétail. Le concept est le même et ressemble au niveau structurel à l'endroit où nous logions à Kwermusl chez les Iraqw. La différence est la poussière pour les Massai, l'herbe pour les Iraqw.

Comme on est pas venu là pour faire du tourisme, on se met au boulot et on s'installe dans une pièce qui est centrale. Les murs sont recouverts de coupures de journaux qui font office de papier peint. Ici, on est fan du Simba Football Club. C'est bon à savoir.

 

Notre premier locuteur sera "Joel", 26 ans, frère de Mickael mais pas de la même mère. Il est professeur de mathématiques et chimie dans une école à flanc du Mont Meru. Il vient d'être papa et c'est la raison pour laquelle il est là aujourd'hui. Pour la production des données acoustiques, c'est un très bon locuteur qui comprend parfaitement les consignes. Il est OK pour faire les mesures de pression et accepte de s'enfiler la sonde de pression dans le nez. Hélas, il butera à quelques centimètres du but, probablement en n'arrivant pas à passer le voile du palais. Dommage. Nous récolterons malgré tout de belles données, y compris des labiofilms sur la production d'interjections sifflées porteuses de sens.

 

 

 


Notre second locuteur sera Pendaeli, 26 ans aussi mais peu scolarisé. Terrorisé par les mésaventures de Joel, il ne voudra pas essayer la sonde. Pareil. De belles données mais incomplètes pour nous. C'est ça le terrain. Tu t'adaptes au milieu.

Entre les deux locuteurs, nous allons manger au township du coin, une sorte d'agglomérats de maisons et boutiques au bord de la route, véritable centre commercial local. On cherche à manger et on atterrira dans un boui boui où nous mangerons deux chapati accompagnés de thé. Pour Didier et moi, ça suffit. Marre de manger de la viande à tous les repas. C'est ça vivre avec des éleveurs de bétails. Au passage, nous rencontrerons John Steed version Tanzanienne. J'aurais aussi l'occasion de me faire un petit foot avec les écoliers du coin qui nous suivront tout le long de notre recherche de nourriture.

 

Nous finirons l'après-midi pas mal crevés. Didier fera de superbes portraits dont il a le secret.

En rentrant à Arusha, nous avons une belle vue dégagée sur le Mont Meru et sur la steppe Massai balayée par le vent.

 

Nous ferons un passage par un garage pour trouver une solution à la perte d'huile du système hydraulique de la direction assistée de la voiture de Mickael. Pas moins de huit garagistes se pencheront sur le problème. Voilà pourquoi le chomage n'existe pas en Tanzanie.

En rentrant à l'hotel, je me reconnecte à nouveau à Internet et une super nouvelle m'attend. Nathan, mon fils ainé, vient d'être accepté en BTS pour les métiers du son et de l'image à Cannes. Il y avait 600 candidats pour 6 places. Hier, il était classé 7ème et je lui avais écrit que je demanderais aux Massai d'égorger un coq pour ensorceler l'un des 6 premiers. Apparemment, ça a marché. Bravo Nathan. Je suis super content pour toi. Comme quoi, faut toujours croire à ses rêves, surtout si ils semblent inaccessibles.

 

16 juin 2022

Massai enfin

La préparation

La nuit n'a pas été de tout repos car notre lodge est à deux pas d'un bar où le Bongo Flava tourne à fond. C'est un mélange de rap, RnB, zouk et reggae tanzanien. Ca plairait à Nathan.  Ca chante en Swahili.  Au bout du compte, ça a fini par me bercer.

Petit déjeuner à 8h, mise en place. On est prêt.

Notre contact sur place à Arusha s'appelle Loewo. C'est clair qu'on ne débarque pas chez les Massai en arrivant avec nos gros sabots et en disant : "salut, on voudrait vous mettre des tubes dans le nez et vous enregistrer". C'est un long et minutieux travail d'approche ethnographique où Mickael contacte Loewo qui contact Kalanga qui contacte Mirichi. Le téléphone Massai.

 

Loewo, notre informateur sur place. Super sympa. Un fan de foot. Supporter du Yanga qui a gagné le championnat de Tanzanie hier soir. Surtout, ne pas dire qu'on préfère le Simba, le club concurrent. C'est comme dire à un marseillais qu'on aime le PSG.

C'est là où on est dans une vraie approche sociolinguistique de terrain. Ils arrivent à quatre. Mickael les reçoit dans la pièce qui nous sert de salle à manger le matin. Il leur explique que les "wazungu" (les blancs) sont là car ils aiment la langue et la culture massai, qu'on va les enregistrer et partager ensuite les enregistrements. Les deux plus agés ne sont jamais allés à l'école. Il faut donc obtenir un consentement audiovisuel qu'on devra garder pour montrer que nous faisons les choses dans les règles éthiques. Dans un deuxième temps, nous venons nous présenter. "Shikamoo" pour le "mzee" (respect pour le vieux). "Hujambo" pour les jeunes. C'est clair que quelques notions de Swahili, surtout les salutations, changent radicalement les rapports aux gens. Du coup, ils pensent que je suis fluent en swahili et me posent des questions en swahili auxquelles je reste muet. J'arrive à me débrouiller au restaurant avec les menus qu'on propose, je connais finalement pas mal de vocabulaire des objets, de la parenté... mais pas de quoi discuter des heures. C'est pas grave on bascule en anglais et ça fonctionne. Didier a le contact facile aussi et il est habitué à ce rapport que l'on doit établir sur le terrain, notamment dans des cultures non occidentales. Ils sont touchés par notre photo de 2020 puis par celle où j'étais déguisé en Massai lors du carnaval de la Fare. Loewo me dit qu'il faut absolument que je ramène des chaussures massai. Bonne idée.

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 Mirichi

Après tous ces échanges, les affaires sérieuses commencent. Notre premier Massai sera le "mzee" Mirichi.

 

Comme c'est notre premier participant, on ajuste les corpus et ça prend du temps. Avec Mickael, on met au point la méthode pour faire éliciter la cible sans avoir recours à la lecture car les plus agés ne sont pas allés à l'école. Pour les interjections, c'est pas évident. Pour les aspects sifflés, c'est carrément le bide car le "mzee" Mirichi n'a pas toutes ses dents. Il n'arrive plus à siffler même en compensant avec ses lèvres. On fera avec lui uniquement de l'acoustique et de la glottographie. Là encore, surprise du terrain. Quand on cherche des participants pour des expériences en laboratoire, on met plein de critères de sélection comme l'age, le sexe, les langues parlées, etc mais je n'ai jamais imaginer devoir mettre comme critère "cherche participant ayant presque toutes ses dents". Mirichi restera droit comme un "i" sans bouger pendant deux heures. La grande classe. A la fin, je suggère de lui demander de faire un récit d'une minute pour avoir un peu de spontané, ce que nous ferons. Loewo nous traduira ce que Mirichi a raconté. Il dit être fier que les wazungu aiment les Massai, qu'il est heureux qu'on s'intéresse à leur langue et leur culture. Nous sommes les bienvenus en terre Massai et il nous aime. Ca me tordra un peu le bide. Mirichi finira par décrocher un sourire. Shikamoo (respect)

 

Kalanga

Avec Kalanga, notre deuxième locuteur, on décide d'aller .


On va commencer par l'utilisation d'EVA et la mise en place des tubes de mesure de pression, ce qui est de loin le plus impressionnant.
EVA, c'est l'acronyme de l'Evaluation Vocale Assistée. C'est un peu ma fille adoptive. Je travaille sur cet appareil depuis 1995, date à laquelle Bernard Teston, mon mentor, ingénieur au CNRS, Benoit Galindo, informaticien de talent et copain, ainsi que moi même avons développé cet appareil qui sert à enregistrer non seulement la parole, mais aussi des signaux physiologiques comme le débit d'air qui sort de la bouche ou du nez, comme la pression intra orale, etc qui permettent de comprendre et mesurer les mécanismes de production de la parole.

La mesure de la pression dans la cavité orale va permettre de comprendre et décrire comment les Massai produisent des consonnes implosives dans lesquelles est créée une dépression dans la bouche que l'on devrait mesurer par une pression négative. Pour faire ça, la méthode la plus efficace est de glisser un tube par le nez de façon à le faire sortir à l'arrière de la bouche, par ce qu'on appelle le voile du palais. C'est impressionnant, ça fait pleurer au début, mais c'est complètement indolore et facile à garder une fois en place. Pour des raisons éthiques, nous n'avons pas le droit de faire ce geste médical et la seule façon acceptable, c'est que la personne s'insère elle même le tube. Et la manière la plus convaincante, c'est de le faire sur nous. Didier est très fort pour cela et réussit à tous les coups. Chapeau bas Didier. En général, le participant grimace un peu et l'entourage rigole bien.

 

L'astuce est d'insérer la sonde horizontalement et surtout pas verticalement comme nous le faisons naturellement. Si tu ne l'insères pas horizontalement, ta sonde va taper dans les os supérieurs de la fosse nasale. Il y a même un risque de déboucher dans le cerveau (non ça c'est une blague). On voit bien cela sur une coupe du conduit vocal. Il faut passer la narine, rester horizontal puis arriver à passer le virage du palais mou. Facile.

Après un essai sur la narine gauche où Kalanga ira empaler sa sonde dans les parties supérieures des fosses nasales, on essayera à nouveau de l'autre côté bien horzontalement et euréka, ça passera. C'est un grand soulagement pour nous car si ça marche sur un, les autres ne pourront pas se dégonfler et le feront aussi. On pourra ainsi recueillir le premier corpus au monde sur les implosives du Massai avec la technique d'aérophonométrie. Les enregistrements sur Kalanga nous semblent très prometteurs.

 

Et après ?

Didier et moi étions prêts à faire un troisième locuteur mais ça commenait à faire long. Entre temps, nous étions allés manger à côté et j'ai enfin découvert ce qu'est l'ugali dont on parle dans les cours de swahili. C'est tout simplement de la polenta mais comme le maïs en Tanzanie est blanc, ça fait une préparation blanche dans laquelle on pioche avec les mains et on fait soit même ses gnocchis qu'on mange avec le reste. A ce sujet, c'est intéressant de voir qu'à chaque début de repas, le serveur arrive avec une cruche d'eau chaude et une bassine. Tu dois te laver les mains. Idem à la fin. Car on mange avec les mains en Tanzanie, sauf les touristes bien sûr. Eviter aussi de manger avec la main gauche, c'est interdit par l'islam.

Et la suite ? Mickael nous indique que demain, on part au village car ça sera plus facile de recruter et on aura moins de bruits de la ville. Génial. On part dans le bush. L'expérience ultime. Ca va être chaud. J'espère que mon installation solaire va fonctionner pour de bon. On essayera aussi d'enregistrer les interjections vers les animaux en situation. Là c'est clair, on y est.

 

 

 

 

15 juin 2022

Un long voyage sur la route

Le réveil sonne à 4h45. Ca pique. Il fait encore nuit. A ce sujet, c'est marrant de voir qu'à côté de l'équateur où nous sommes, il n'y a pas beaucoup de différences de durée du jour et de la nuit. Que ce soit en février ou en juin, il fait jour de 6h30 à 18h30, avec peu de variations. Je prends ma douche, froide, car l'eau s'est refroidie la nuit. L'eau tiède reviendra quand le soleil chauffera le container noir placé sur le toit pour chauffer et fournir un peu de pression.  Vers 5h, j'entends l'appel du muezzin au loin. La Tanzanie est multiconfessionnelle avec pas mal de musulmans notamment sur la côte. A ce sujet, Dar Es Salaam signifie en arabe "la maison de la paix". Il y a pas mal de chrétiens de toutes les sortes notamment pas mal de missions protestantes. Et puis il y a les animistes. La tolérance règne et chacun respecte l'autre. Comme quoi, tout est possible.

A 5h30, Mikael arrive. On charge les valises et c'est parti pour 10 heures de voiture. Direction Arusha et le pays Massai.

Je me cale à l'arrière et arrive à finir ma nuit tant qu'il fait nuit. Au bout d'une heure de trajet, Mickael s'arrête sur le bord de la route car il y a un bruit bizarre dans le moteur. Il perd un peu d'huile du système hydraulique de la direction assistée. Heureusement qu'il y a un garage pas loin. Il achètera un bidon et en remettra régulièrement tout au long de la route.

 

Les paysages changent et je retrouve la terre rouge du nord de la Tanzanie. Les paysages passent.

 

A mi-chemin, nous approchons des montagnes Usambara, qui sont des contreforts du Kilimandjaro. Dans notre programme initial, nous aurions du y faire une halte pour y monter enregistrer les Mbugu. La particularité de ce peuple est de parler une langue avec une grammaire bantoue mais un lexique couchitique, un peu comme si on utilisait les mots de l'arabe mais avec la grammaire du français. Hélas, comme il a fallu réduire le programme, les Mbugu sont passés à la trappe. Ca aurait été en plus l'occasion de basculer en énergie solaire. Dommage.

 

Vers 14h00, on s'arrête pour manger un bout. Le relai est entouré de bananiers et de manguiers. J'explique à Mika qu'en France, les mangues sont souvent pas mures, sauf si elles viennent en avion, ce que je refuse d'acheter car c'est une aberration écologique. Il hallucine qu'on transporte des fruits à la place de gens.

 

 On croise ensuite des champs de sisal. Au début, je croyais que c'était des plants d'ananas. Mais non, c'est du sisal qui est une sorte d'agave cultivé pour plein de choses : de la corde, des tapis, des chapeaux, des tissus d'emballage, du géotextile...

 

 

La route est droite et Mikael me propose de conduire. Conduite à gauche, vitesses automatiques, conduite de fadas, non respect des limitations de vitesse. Je préfère m'abstenir. Je conduirai que si il est vraiment épuisé, ce qui ne sera pas le cas.

On passe au ras des montagnes. On croise des baobabs et des tonnes de déchets plastiques. Il y a une industrie manuelle du recyclage et c'est fréquent de voir des gamins le long des routes ramasser les bouteilles pour ensuite les vendre. Y a du boulot pour des décennies. A ce sujet, au Kenya voisin, le coca cola était jusqu'à présent conditionné en bouteille en verre. Puis le progrès aidant, ils sont finalement passés aux bouteilles en plastique. Voilà le résultat. C'est bête car on est en train de revenir au verre consigné...

 

On s'approche d'Arusha et d'un coup, on tombe sur la steppe Massai d'un coté et le Mont Méru de l'autre. Bien que cette montagne soit la petite copie du Kilimandjaro, il monte malgré tout à 4600 m, soit quasiment le Mt Blanc. On renouvelle l'idée de faire le Kili et Didier propose de le faire pour ses 70 ans, c'est à dire l'année prochaine. Mika pense qu'il déconne mais non. Quand il comprend que c'est sérieux, il nous dit qu'il veut être de la partie. Il l'a déjà fait.

On arrive finalement à Arusha toute embouteillée après 13h de voiture. On trouve finalement le lodge dans une rue, comment dire, pas très fréquentable, avec des dames alignées sur les trottoirs... Les chambres sont bons marché et confortable. On installe le matos dans la chambre de Didier qui est la plus grande. Je branche tout, je mets le jus, je fais un essai. Ca marche. Je suis soulagé. Demain, les choses sérieuses commencent.Il faut malgré tout que je bricole un cable pour le glotto car la sortie de l'appareil n'est pas celle que je pensais. Heureusment que j'ai pris un fer à souder et des outils.

 

On part manger dans un boui-boui. Ce soir, je suis africain : je mangerai de la langue de boeuf rotie et une salade de crudités, ce qui n'est pas très malin car c'est comme ça qu'on chope la cagagne. Tant pis. On verra demain.

De la langue de boeuf rotie : c'est très bon.

 

14 juin 2022

Derniers réglages avant le départ chez les Massai

Ce matin, nous devons travailler sur le corpus que nous allons devoir éliciter chez nos futurs locuteurs Massai. Hier, Mika nous a fourni un dictionnaire électronique de Massai dans lequel il y a la forme orthographico-phonologique des mots du Massai (l'orthographe est directement phonétique), la traduction en Swahili et en anglais. Par exemple:
a-jó    kusema    to say
or-bófulo    mkate    bread
ɛn-dáa    chakula    food

Un premier point qui nous intéresse sont les consonnes implosives. Une consonne implosive est une consonne occlusive (comme b, d, g) accompagnée d'un flux d'air entrant. Une telle consonne est réalisée avec un abaissement plus ou moins simultané du larynx et ne nécessite donc pas d'air provenant des poumons. L'abaissement provoque une dépression audible lorsque l'air entre de nouveau dans la bouche lors de la désocclusion de la consonne. On en trouve dans à peu près 10 à 15 % des langues. Les Massai en ont 4, ce qui est assez exceptionnel. Essayez de prononcer "or-bófulo" mais sur le /b/, il faut non pas que l'air sorte par la bouche, mais qu'il entre. Pas facile.

On va aussi travailler sur l'harmonie vocalique. Les massai ont 5 voyelles de base i, ou, é, o , a mais les 4 premières peuvent être prononcées avec une avancée de la langue (Advanced Tongue Root, ATR) ou au contraire en reculant/abaissant un peu la langue. /i/ devient /I/ (un /i/ un peu plus en arrière), /é/ devient /è/ (un peu plus ouvert), /o/ devient /ɔ/ (c'est le "o" de rose à la marseillaise), le "ou" devient "ʉ". Ils ont donc 2x4 + "a" = 9 voyelles que nous allons étudier.
Certains mots changent de sens si la voyelle est produite en ATR+ (langue avancée) ou ATR- (langue non avancée). Par exemple,
amít    (+ATR) signifie "refuser" alors que amɨ́t (-ATR) signifie "finir de boire".
     
Le troisième aspect va être les trilles bilabiales, c'est à dire des "r" dans lesquelles ont fait vibrer les lèvres à l'image d'un bruit de moteur. Sauf que en Massai, ce bruit est une consonne. Pour cela, on va utiliser un appareil photo grande vitesse qui permet d'enregistrer plus de 300 images par seconde.

On va enfin enregistrer une série d'interjections et d'idéophones massai. Un idéophone est un concept très présent dans les langues africaines et difficile à comprendre pour les occidentaux (dont moi). Un idéophone est un mot qui rend compte d'une perception. Il ne s'agit pas de reproduire un son comme une onomatopée. J'avoue avoir du mal à faire la différence mais c'est là la spécialité de Mickael et on va donc le suivre sur ce terrain.

Le 5ième aspects sont l'aspect tonal du Massai qui est un langue à tons. C'est là aussi un point qui perturbe les français. Ce type de langue exige que certaines syllabes soient prononcées avec une hauteur précise qui si elle est modifiée, peut changer le sens du mot.

Pour tout ces aspects, nous serons en condition de laboratoire de terrain, c'est à dire avec EVA (je vous la présenterai plus tard).

Le dernier aspect concerne la communication entre les Massai et leur bétail. J'espère qu'on va pouvoir enregistrer ça car là, on sera vraiment dans la savane en vrai. Il y aura peut être même des lions, et il faudra courir très vite sans perdre le micro car j'ai prévu pour cela un super micro canon pour ça et j'espère qu'on va le faire (enregistrer le langage sifflé des Massai, pas courir devant les lions). Je suis même prêt à boire du sang frais de chèvre ou de vache si il le faut. Même pas peur.

Pour préparer tous ces aspects, Didier et moi commençons par un bon petit déjeuner à base de chapati (une sorte de crêpe), de mayai (omelette) et de matunda (fruits). Ce matin c'est papaye et pastèque.

En général, il faut faire gaffe aux aliments crus mais là, on a confiance. Dans tous les cas, j'ai prévu une pharmacie pour les problèmes intestinaux. Jusqu'à présent, tout va bien. On boit beaucoup de bières et donc pas beaucoup d'eau qui est le vecteur numéro un des dysenteries. On est d'acoord qu'une bière est bien meilleure pour la santé qu'un coca.

Vers midi, Mickael vient nous récupérer et nous allons déjeuner ensemble, sommairement car finalement, nous prenons l'habitude de manger peu. Nous soulevons avec lui les problèmes financiers. Négociation à l'africaine. C'est un peu chiant mais on s'y habitue. On passe pour de grosses vaches à lait qu'il faut traire. Il faut juste faire comprendre qu'on a du lait, c'est clair mais on n'est pas non plus un camion citerne. Pour diminuer les frais, Didier et moi allons fonctionner aux frais réels et non au forfait. On va essayer de manger et nous loger avec 25€ chacun par jour, ce qui est faisable. Mika réduit lui aussi ses exigences. De 5000 € de prévisions de frais, nous passons à 2500 €. Tout va bien. Chacun fait un effort et ça fonctionne. On partira en voiture.

Je m'attaque ensuite à la question des batteries. Je m'installe devant la fac, je sors mes panneaux solaires pliants, je connecte le chargeur, je branche les batteries. J'ai tout prévu comme cables, vis, rondelles, écrous. J'ai ce qu'il faut. Ca marche nickel, je suis rassuré. On pourra aller si nécessaire ou l'on veut pour enregister.

 


Direction la banque pour tirer du cash. Je retire 1 200 000 shillings tanzaniens, c'est à dire 120 billets que je place dans une banane en ceinture. On dirait que je suis enceinte (ou que je bois trop de bière effectivement). Pas fier avec cette sommes sur le nombril. Ca permettra de payer les frais de transport pour Arusha. Didier est bloqué de son coté. Il ne comprend pas ce qu'il se passe mais il ne peut pas appeler sa banque en Whatsapp. Il doit donc retourner chez Vodacom pour avoir une autorisation de téléphoner à l'étranger en mode téléphone. Il arrivera à joindre sa banque qui avait relevé ses possibilités de paiement par carte mais pas le retrait de liquide. Quelle plaie ces banques ! On règle le problème et Mickael nous rejoint alors pour rentrer au lodge et préparer nos affaires. Nous avons 10h de voiture pour aller à Arusha et nous partirons à 5h30. Ca va piquer. Mika me demande si j'ai mon permis. Je lui réponds positivement mais je n'ai pas cette fois prévu de permis international. Dans tous les cas, je ne suis pas chaud pour (1) conduire à gauche (comme les anglais), (2) conduire à la tanzanienne c'est à dire prévoir tous les 10 mètres que quelque chose va traverser, (3) je ne suis pas sur d'être couvert au niveau assurance. Mika insiste car effectivement, 10 heures c'est long mais je tiens bon. J'ai pas envie de finir dans une prison à Bagamoyo.  


On atterrit finalement au même bar grillade que la veille et je m'avale mes deux brochettes et mes trois bananes plantins. Ces dernières sont super bonnes. On dirait des patates. Je ne fais pas gaffe que sur un bord d'assiette, la serveuse m'a versé une sauce diaboliquement épicée. J'y trempe un bout de viande, j'avale et j'ai le gosier qui s'enflamme pendant 5 minutes. J'en pleure encore.
Vers 20h30 heure locale, je me rappelle qu'il est 19h30 en France et d'habitude, le mardi à cette heure là, j'ai cours de swahili à distance. Par chance, Roxane, la prof qui nous enseigne avec patience cette langue depuis septembre m'a envoyé un email pour me demander si elle peut communiquer l'adresse du blog aux autres apprenants avec qui, au fil des séances depuis des mois, nous avons finalement établi une forme d'amitiés, de conivences, même si tout se passe en visio à distance. Je lui réponds positivement et lui demande de m'envoyer le lien zoom pour que j'essaye de me connecter. Ca marchera au niveau video mais je n'arriverai pas à avoir le son. On pourra un peu échanger et c'est avec un petit pincement au coeur que je quitterai Roxane, ma mwalimu de kiswahili que je vais regretter car elle a une vraie fibre d'enseignante et donne vraiment la motivation et le niveau pour se débrouiller. Merci Roxane et dommage que tu ne fasses pas le niveau 2. Si un jour je passe à l'INALCO, j'essayerai de passer te dire bonjour. Merci aussi à Carole, Dzeri, Océane, Paul, Astrid, Vahi, Amélie, Claire, Guillaume et tous les autres étudiants pour ces bons moments passés ensembles à essayer de maitriser cette langue si agréable mais loin de nos habitudes. C'est clair que parler un peu swahili change totalement le contact avec les gens. Tu passes du statut du blanc arrogant et exigent au beau gosse sympa. Les serveuses sont mortes de rire quand je demande du wali alors que c'est du pilau, ou que je dis marahage au lieu de maharage (les haricots). Mais clairement, elles apprécient qu'un européen prenne la peine de parler une de leur langue. Merci Roxane.


Nous rentrons finalement au lodge pour préparer nos affaires. La nuit va être courte.



 

13 juin 2022

Premier contact avec l'Université de Dar Es Salaam

Mickael vient nous chercher vers 10h et nous allons directement à un centre commercial pour acheter une carte SIM qui nous permet d'avoir une connexion Internet. On se croirait en Europe avec des magasins de téléphonie High Tech, Samsung, Nike, ...

Un vendeur d'Afrika Batteries vient nous livrer 3 batteries solaires de 12 V 18 Ah. On est parés pour le bush. On part ensuite manger un bout au Teacher Club, une sorte de restaurant pour les professeurs de l'Université. Le campus est gigantesque et très agréable.Ils ont une bibliothèque toute neuve.

Nous arrivons au Centre of Communications Studies où Michael travaille. Il nous fera rencontrer la Direction et les collègues. Il est possible que nous soyons rattachés comme chercheurs associés, ce qui permettrait de faciliter les recherches ultérieures au niveau administratif. Didier fait le grand show : il connait bien la région et en plus les aspects musicaux. Il offre des CD qu'il produit de musique du Kenya et du Congo : les gens sont ravis. Il insiste aussi sur mon role crucial au niveau de la mission. On commence à préciser le cadre de la mission et des futures opérations.

Le soir, on fait un bilan financier et on se rend compte qu'on va péter le budget. Déjà, on a perdu 1200 € qui vont être payés à l'Université de Dar Es Salaam comme partenaire du projet. C'est classique. Mais on prend conscience que notre budget transport en Tanzanie de 1500 €, ainsi que les per diem prévus sont beaucoup trop élevés et compromettraient une future mission. Il va falloir revoir notre copie et envisager de voyager en bus. Si on fait ça, ça va être folklorique.

12 juin 2022

L'arrivée en Tanzanie

Après une heure pliés en quatre sur les fauteuils, Didier et moi cherchons d'autres solutions pour dormir. Didier trouve une banquette et moi un coussin de canapé que je pose dans un coin pour m'isoler un peu du bruit. Malheureusement, à 5h du matin, le personnel de l'aéroport me réveille pour récupérer le coussin car ils remettent tout en ordre pour débuter une nouvelle journée. Vers 6 heures, nous n'essayons même plus de dormir et allons prendre un petit déjeuner succinct. Vers 7 heures, on part embarquer mais Didier a une envie folle de salade de fruits. Il s'arrête donc en commander une dans un snack mais ça dure. Je pars donc en éclaireur vers l'embarquement. L'hotesse annonce alors the Last Call. Je repars donc en courant voir Didier pour qu'il se bouge et je croise une patrouille de police dont le chien m'aboie dessus car je cours. Surpris, je fais un bond de 3 mètres puis me mets à rire du malentendu, ainsi que les policiers et les gens autour. Bref, on finit par embarquer dans un moyen courrier et là, je m'endors très vite car nous tardons à décoller. Quelques minutes après, Didier me réveille : nous avons une vue incroyable sur le Kilimandjaro. Nous sommes au dessus des nuages et le sommet dépasse des nuages comme une ile flottante. Fascinant. Hélas, je constate que les neiges sont aussi  rares qu'en 2020 alors que nous sommes en automne austral (voir 2020).


Nous atterissons à Dar Es Salaam et toute se passe bien. Nous ne sommes pas très nombreux. Didier obtient son visa sans difficulté. Nous récupérons bien nos 4 valises. Nickel. Au passage de la douane, le policier qui scanne les valises est surpris par leur contenu mais quand nous lui disont que nous allons travailler avec l'Université de Dar Es Salaam, il nous dit que tout va bien et qu'on peut passer. Didier me dit que c'est la première fois que tout roule comme sur des roulettes aussi facilement alors que c'est sa 30 ème mission de terrain. Michael, notre collègue de l'Université, arrive quelques minutes après et nous faisons donc sa connaissance en vrai. Jusqu'à présent, nous avions fait uniquement des visio. Cette fois, c'est pour de vrai. Il a un 4x4 Toyota qui va nous être très utile pour les routes tanzaniennes. Il nous emmène vers un lodge où nous allons loger pour 2 à 3 jours, le temps de préparer la mission. Dar Es Salaam est tentaculaire.

 

On sent que la ville est en pleine évolution. Les routes sont en travaux. Les quartiers que nous traversons sont assez neufs et ça grouille de petits commerces de nourriture, vêtements, matériaux de construction, garages, coiffeurs, potiers, téléphonie, quincaillerie... et surtout des gens partout.

 

 

 

Ca roule non stop dans tous les sens. Voitures, motos, triporteurs, camions, bus, piétons... Peu de vélos, je pense que c'est trop dangereux. On croisera malgré tout un gars avec une vingtaine de plaques empilées d'une vingtaine d'oeufs chacune, le tout accroché avec deux tendeurs sur son porte bagage et probablement livrant des commerces. Je me dis que si il bascule un peu, c'est l'omelette géante sur la route. J'espère qu'il ne lui ai rien arrivé. L'urbanisme est plutot aéré, avec des ilots d'arbres. Les maisons sont basses avec un ou deux étages au max. Ca fait banlieue des classes moyennes. Très sympa.

On s'arrête à un distributeur retirer des Shillings Tanzaniens. Heureusement, une tanzanienne m'arrête in extremis. Le distributeur est en panne et avale les cartes. Ouf. J'ai eu chaud. Sans carte dès le premier jour... On s'empresse de trouver un nouveau distributeur et on récupère chacun 400 000 Sh TZ, ce qui fait environ 160 € et une grosse liasse de 40 billets de 10 000, qu'il va falloir planquer discrètement car ça fait une somme en Tanzanie. La nuit au lodge est facturée 30 000 Sh Tz, ce qui fait 12 €. Les chambres sont OK, avec un WC et un lavabo et une douche entre les deux mais sans bac. La salle de bain est en pente et l'eau de la douche s'évacue par un trou au bord. Je mets de l'eau partout, il n'y a pas d'eau chaude, mais c'est le luxe. Je pense que plus tard, ça sera plus roots : une bassine, deux planches et voilà la salle de bain.

"tunaomba bia tatu" (on commande 3 bières), puis six et on discute longuement tous les trois du plan de bataille à venir. Mikael ira rejoindre sa famille pendant que Didier et moi prendrons un repas gargantuesque avec du poulet très bon, du riz, des légumes... Là aussi, il faut en profiter car je pense que ça sera plus sommaire après.

Après une courte sieste pour Didier et moi, Mica vient nous récupérer et nous emmène en bord de mer dans un quartier plutôt aisé style la corniche à Marseille. Nous prenons à nouveau une bière dans un bar plutot branché, style Espace Borely avec une lumière recherchée, de la musique...

Je pense que Mica veut nous montrer un autre visage de l'Afrique, moderne, jeune et dynamique. Au retour, nous passerons devant sa maison qui est magnifique, toute neuve, grande et on sent bien qu'il en est fier. Il a raison.

Je remarque aussi qu'elle est entourée de murs de 3 mètres de haut et que son portail est quasiment une porte de forteresse. C'est l'éternel contraste des classes sociales dans les villes en Afrique, au Brésil et ailleurs. Des ilots d'aisance entourés de précarité et des systèmes de défense pour que la deuxième ne vienne pas trop empiéter dans la première. Je ne pense pas que Mica ait un salaire élevé car il est enseignant d'Université publique et pas businessman. Il appartient à la classe moyenne supérieure mais c'est déjà énorme pour ici. On parle un peu du système éducatif et il nous indique que ses enfants sont à l'école privée car le système public est imparfait. Il n'y a pas assez d'écoles et pas assez de professeurs. Certaines écoles font les deux huit. La moitié des élèves viennent le matin, l'autre moitié l'après-midi. Les classes, quand elles existent, sont prévus pour accueillir entre 50 et 75 élèves. C'est sur que ça doit pas être le top. Mica nous raconte que les milieux urbains sont très attentifs à l'éducation et veulent le meilleur pour leurs enfants. On parle aussi des milieux ruraux  où ce n'est pas le cas. Il nous interroge sur la France et ses questions nous désarçonnent souvent. Il trouve par exemple idiot que nous fassions fabriquer les voitures françaises à l'étranger alors que nous avons des ingénieurs, des ouvriers qualifiés, des infrastructures adaptés. Il est surpris d'apprendre que nous fermons régulièrement des écoles et des hôpitaux à la campagne. Une fois construites, pourquoi les détruire. Là où eux vivent dans un service public faible et rêvent d'un système public fort, c'est effectivement peu concevable de vouloir affaiblir un service public fort. Maladie dégénérative des vieilles sociétés occidentales pilotées par le libéralisme...
 

11 juin 2022

Un voyage chaotique

5h30. Le réveil sonne. A peine le temps de prendre une douche que le taxi est déjà là. Pas le temps d'un café. Le taxi arrive difficilement à faire rentrer nos quatre valises puis direction Roissy. 200€. Ca fait mal mais pas vraiment le choix. Arrivés à la zone d'embarquement des bagages, l'hotesse nous indique que pour le poids des bagages, on fait le total. J'ai passé deux heures à trouver la bonne combinaison pour que chaque valise ne pèse pas plus de 23 kg pour rien. C'est pas grave. On est en avance et tant mieux car ça nous permet d'avaler un bout de gateau et un café. L'embarquement est super long.

La rotation des avions est tellement à flux tendu qu'ils arrivent à l'embarquement pour être vidés, nettoyés et ça repart. On part avec une heure de retard. En fait, curieusement, notre vol est à destination de Zanzibar, qui est à quelques kilomètres au large de Dar Es Salaam mais séparée par un bras de mer. Nous y faison escale et une grosse partie de l'avion se vide des touristes. Puis nous rembarquons là encore en flux tendu une cargaisons de touristes puis nous partons à Nairobi au Kenya. L'avion y fait escale pour repartir à Paris. C'est le trafic triangulaire Paris-Zanzibar-Nairobi-Paris. Nous arrivons trop tard à Nairobi pour notre correspondance pour le vol pour Dar Es Salaam.

 


Il est déjà minuit heure locale et les guichets de renseignement et des compagnies aériennes sont tous fermés. On erre pendant 30 minutes en demandant comment faire. On nous ballade de lieu en lieu. Finalement, je me rends compte sur le tableau des départs que le vol qu'on vient de quitter et qui part sur Paris, n'est pas encore parti et embarque des passagers. On se précipite donc à la porte d'embarquement pour pouvoir discuter avec quelqu'un d'Air France. C'est en fait une responsable de Kenya Airways qui finalement nous indique qu'on peut aller s'installer dans le salon voyageur des lions (Simba Lounge) pour manger et passer la nuit. Nous repartirons demain à 7h40. Didier appelle l'hotel où nous devions loger pour annuler la réservation et apprend qu'en fait l'hotel est complet. Si nous n'avions pas raté la correspondance, on se serait retrouvé devant un hotel complet. Welcome Africa. On mange un plat de pates avec des poissons panés puis on s'installe sur des fauteuils. On espère someiller quelques heures. Un gars bourré braille à côté de nous, je sens le plan galère.

10 juin 2022

Les derniers préparatifs

Aujourd'hui, c'est le congrès de la Sté Française de Phoniatrie à l'hôpital Foch à Suresnes, dans la banlieue de Paris. Didier a été invité à présenter ses travaux sur l'évolution de la source vocale chez les primates. Il a des documents sonores incroyables avec des vocalisations de singes hurleurs, de muriquis, d'orang outans, de gibbons, de bonobos. Le questionnement et la richesse des exemples captivent l'auditoire. Le public de médecins est séduit par sa présentation. Une fois son exposé terminé, il part en taxi à l'ambassade de Belgique pour essayer de régler ses problèmes de passeport.
Pendant ce temps, j'écoute les autres exposés un peu distrait et je renoue avec mes connaissances de la phoniatrie française. Je suis content de retrouver de vieilles connaissances d'un peu partout en France. Certains sont au courant de notre expédition en Tanzanie notamment les amis parisiens, marseillais et toulousains. Je raconte un peu les projets, notamment l'idée d'aller faire de l'aérophonométrie dans la savane alors que eux la pratiquent à l'hôpital dans des conditions hyper controlées. Certains sont impressionnés par notre culot, beaucoup sont admiratifs, la plupart sont envieux.

Vers midi, je vois Didier revenir dans l'amphithéatre du congrès. Il me brandit un petit carré de 12x10 cm de coté. Ouf. Il a son passeport. Marrant le nouveau passeport belge. Une page avec le marsupilami, une avec Blake et Mortimer, avec Spirou, avec les Schtroumpfs... C'est vraiment des joueurs ces belges. On peut partir. La pression retombe.

A treize heures, on déjeune avec les congressistes et c'est l'occasion de renouveler les réseaux, d'en consolider certains et d'en créer de nouveaux. Finalement, on décide ensuite de rentrer à Rambouillet pour régler les derniers préparatifs.

Didier contacte ses derniers étudiants pour donner les consignes puis part en ville essayer de récupérer des dollards US, les miroirs pour la palatographie... De mon coté, j'attaque la répartition du poids dans nos quatre valises de soute et nos deux valises de cabine. On dispose de 4 x 23kg + 2 x12kg = 116 kg. Ca devrait aller. Avec mes 65 kg en provenance d'Aix, ca laisse environ 50 kg de matériel et vétements en provenance de Paris. On devrait être bon. Je décide ensuite d'étendre la lessive mais comme Didier n'est pas là et que je ne trouve pas de séchoir, j'improvise : 2 cables micro font l'affaire. Ca y est. Cette fois, on y est.

9 juin 2022

La préparation

C'est parti pour la saison 2 de Didier et Alain en mission en Tanzanie.

Nous c'est qui ? Le patron, c'est Didier Démolin, professeur de phonétique à la Sorbonne à Paris, grand spécialiste des travaux de terrain en phonétique. Bientôt 70 ans mais jeune comme un doctorant. Enfin presque. Il y a quatre mois, il était sur le billard, opéré à coeur ouvert pour un problème cardiaque. Mais quatre mois lui ont suffit pour récupérer et repartir sac sur le dos en mission. Il faudra juste qu'il fasse attention de ne pas trop porter de charge lourde. Promis Luciana (la femme de Didier), je ferai le sherpa pour deux et si nécessaire nous trouveront des tanzaniens ravis de se faire quelques pourboires. Moi, c'est Alain Ghio, ingénieur de recherche au CNRS à Aix-en-Provence, au laboratoire Parole et Langage, novice en matière de linguistique africaine mais rompu à l'acquisition et au traitement de données de parole. Certaines me surnomment Mc Giver et il faut au moins ça pour faire de la linguistique expérimentale au milieu de la brousse africaine. Bref, un duo de choc qui a déjà bien fonctionné en 2020 (voir blog saison 1). Le CNRS a même publié un article dans son journal sur le secret des langues à clics, que soit disant nous aurions découvert comme Indy a cherché le Graal, la jeunesse éternelle.

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Starksy et Hutch en 2020 près du lac Eyasi


Mais que diable allons-nous faire dans cette galère ?

De la linguistique expérimentale de terrain. L'association de ces quelques mots est plutôt inhabituelle, un peu comme si on voulait faire du développement industriel écologique. Et pourquoi pas, c'est ce que nous allons faire. On va aller rencontrer des locuteurs Massai sur place, dans leur steppe, au nord de la Tanzanie, et on va les enregistrer avec des techniques perfectionnées de laboratoire : aérophonométrie, électroglottographie, labio films, palatographie... ce qui relève de l'exploit scientifique quasi inédit. Utiliser ces techniques en laboratoire à Londres, Paris ou Los Angelès, c'est courant. Faire des enquêtes de terrain avec un enregistreur portable de poche, ça se fait. Mais faire de l'aérophonométrie au milieu de la savane, ça relève du défi. Nous avons la chance de partager cette mission avec un collègue linguiste de l'Université de Dar Es Salaam qui s'appelle Michael Karani. C'est lui même un Massai et c'est donc la voie royale car l'approche sociolinguistique sera facilité. Il souhaite aussi qu'on aille enregistrer au milieu de nulle part, sur les pentes du Kililmandjaro, des éleveurs qui communiquent avec leur bétail dans un langage tout à fait original. J'espère qu'on sera à la hauteur (des Massai, du Kilimandajaro, de la tâche à accomplir...)

Michael Karani posant avec des locuteurs près d'Arusa juste après une cérémonie d'initiation où ont été recueillis des enregistrements d'histoires et de chansons lors d'un travail de terrain en 2016


Pourquoi là-bas, dans la vallée du Rift Tanzanien ?

Car cette partie de l'Afrique est connue pour sa richesse linguistique avec plus d'un centaine de langues parlées en Tanzanie et surtout la présence et le contact des quatre grandes familles de langues africaines.

Le contexte linguistique de l'Afrique de l'Est : en gris les langues Khoisan (Hadza et Sandawe), en vert les Afro-Asiatiques couchitiques (dont l'Iraqw), en orange clair les langues bantoues (dont le Swahili) et en bleu les langues nilotiques (dont le Maasai). La Tanzanie est le seul point où ces quatre grandes familles sont en contact.

Parmi ces langues, nous avons déjà enregistré en 2020 le Hadza, une langue Khoisan, qui possède un système de 7 voyelles et environ 65 consonnes dont une douzaine de clics. En comparaison, le français possède seulement 18 consonnes, ce qui qui permet de prendre la mesure de la complexité et la richesse de cette langue. Sylvain Auroux a d'ailleurs écrit que "Personne parmi nous n'aurait eu l'idée de croire que des clics sont des sons du langage si on ne les avait pas rencontrés". Nous, nous les avons enregistrés avec en plus des tubes dans le nez.

Un locuteur Hadza enregistré en 2020

Nous avons aussi étudié l'Iraqw, une langue couchitique qui possède un certain nombre de consonnes éjectives produites avec un mouvement de piston de la glotte simultané à l'articulation de la consonne. Notre objectif était d'enregistrer et analyser cette langue pour apporter une description phonétique précise détaillée et documentée.

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Un locuteur Iraqw enregsitré à Kwermusl en 2020

Nous allons en 2022 ajouter une troisième langue, le Massai, qui elle appartient à la famille des langues nilotiques, avec notamment la production de consonnes implosives et des formes de communication inter-espèces inédites. Cette nouvelle mission est financé par le CNRS qui a sélectionné notre projet SYSORI (Systèmes Sonores des langues de la vallée du Rift) dans le cadre de l'appel à projet de collaborations avec l'Afrique Sub-Saharienne.


Le challenge

Au delà des questions scientifiques, le défi technique et méthodologique est considérable car on sait que l'environnement va être très difficile pour faire fonctionner des appareils électriques prévus pour le laboratoire. Cette année, j'ai décidé d'emporter deux panneaux solaires pliants de 120 W qui peuvent se transporter en valises.

 

J'accompagne ces panneaux d'un chargeur solaire qui aura pour fonction de charger des batteries. Une fois les batteries chargées, on pourra produire du courant alternatif 220 V grâce à un onduleur de conception allemande (du solide). On sera complètement autonome et on pourra aller ainsi où on veut, y compris dans des zones reculées non électrifiées.

 

Le chargeur solaire pour charger les batteries et l'onduleur pour créer du courant alternatif 220 V à partir des batteries


Depuis le mois de décembre, je prépare cet aspect important de la mission et j'ai été super bien conseillé par un ingénieur de la société OZO (merci Laurent J.), une entreprise locale basée à Eguilles près d'Aix, qui m'a fourni des supers batteries 36 V compactes et High Tech, ainsi que les panneaux et chargeur solaire (merci à l'AMU pour le financement). Mais malgré plusieurs mois d'efforts, notamment grâce au service logistique du CNRS, je n'ai pas pu expédier ces batteries, ni les emporter avec nous car les batteries de plus de 100 Wh sont considérées comme des produits dangereux. La seule solution possible nous coutait ... 2000 Euros, c'est à dire le cout d'une mission complète pour une personne. No way. J'ai décidé de changer de stratégie et d'acheter directement des batteries sur place. Mais une prospection rapide m'a fait prendre conscience que la Tanzanie n'était pas encore préparée aux vélos électriques (qui utilisent des batteries 36V) et qu'il fallait que je me rabatte sur les batteries de voiture 12V. Pour ne pas être en improvisation complète en arrivant sur place, j'ai pu testé à Aix mon installation en utilisant deux batteries 12V et j'ai trouvé la bonne configuration et usage. Ca devrait rouler. Inch Allah, on croise les doigts. Cette fois, j'ai carrément emporté avec moi un fer à souder, des cables électriques, des circuits électroniques de rechange au cas où. J'ai mis la ceinture, les bretelles, plus une ficelle. Ca devrait tenir.

C'est parti, on prépare tout sur Paris

Dès le mardi soir, j'ai embarqué tout le matériel à la maison et j'ai réussi à tout caser avec mes vêtements dans une grosse valise qui pèse 32 kg, un sac à dos, une valise cabine et mon sac d'ordi en position ventrale : 65 kg sur les bras et les épaules. Ca va chauffer. Heureusement que depuis un mois, j'ai fait quelques cours de gym, pas mal de jardinage et pas mal de maniement de la pioche pour le potager. J'arrive à trainer tout ça. Marion étant bloqué à Marseille pour une réunion importante, c'est Claudia qui m'a fait la bonté de m'emmener à la gare TGV d'Aix. Merci Claudia.

Ca commence bien. Je regarde mon billet et bien évidemment, j'ai oublié de réserver ma place dans le compartiment d'en bas. Loi de Murphy. Ma place est à l'étage. J'ai un peu la trouille de laisser le matériel hors de ma vue. Je traine donc mes 65 kg dans le couloir du TGV qui monte dans le compartiment du haut. Arrivé devant les compartiments à bagages commence le Tétris. Je bloque ainsi 33 personnes qui veulent elles aussi accéder au wagon mais je finis par tout caser. Ouf, je me pose à ma place et je respire après ce premier coup de chaud. Heureusement, il ne fait pas un soleil de plomb mais j'ai déjà perdu un litre d'eau.

Le voyage est assez rapide et Didier m'informe qu'il arrivera en même temps que moi à Paris. Il est parti la veille à Bruxelles pour récupérer du matériel dont nous avons besoin pour la mission, notamment un Electroglottographe qui permet de mesurer l'accolement des cordes vocales pendant la phonation. Il arrive par la gare du Nord et moi par celle du Sud ou plus précisément par celle de Lyon. On se donne alors rendez-vous à Montparnasse pour prendre le train pour Rambouillet où il habite. Gare de Lyon - Gare Montparnasse en métro avec 65 kg sur les bras et les épaules, c'est Koh-Lanta. A 18h, heure de pointe, c'est la finale des finales de Koh-Lanta. J'ai une peur bleue que quelqu'un m'arrache un bagage et se barre en courant. La valise à 32 kg ne me fait pas peur. Si un gars essaye de l'attraper, il va rester collé au sol par le poids. Mais le sac avec l'ordi ou la valise cabine... Non seulement rien de tout cela ne se produit, mais au contraire, je rencontre des gens qui me file un coup de main à chaque escalier (quel médisant ce Alain à propos des parisiens). Et c'est dans ces cas-là aussi où on comprend toute la difficulté des personnes en fauteuil roulant avec ces maudits escaliers qui montent et qui descendent, ces escalators ou ces ascenseurs en panne.

J'arrive enfin à destination à Montparnasse et Didier arrive quelques minutes après moi. On prend le train pour Chartres arrêt à  Rambouillet. Didier n'habite pas très loin de la gare mais quand même. Mes 65 kilos de bagages commencent à peser. J'ai les mains en bouillie.Je ne veux pas que Didier porte trop de poids. Luciana, la femme de Didier, insiste par SMS pour qu'effectivement, Didier ne fasse pas d'imprudence. Il lui envoie cette photo en lui écrivant qu'il va porter tout ça.

Arrivés chez lui, on pose tout et on part boire une mauresque au café de la place, on s'avale un filet mignon et on rentre. Didier doit finir sa présentation pour le congrès de la Sté Française de Phoniatrie où il ouvrira le bal vendredi à 9h. Le plus inquiétant est qu'on ne trouve rien dans sa boite aux lettres. Il attend son passeport belge qui soit disant aurait dû arriver. Rien. Je commence à me dire que je vais peut être partir en éclaireur seul...

 

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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
  • En juin 2022, Didier Demolin et Alain Ghio partent en mission de terrain en Tanzanie. L'objectif est de recueillir avec des appareils de laboratoire des enregistrements de parole chez les Massai.
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