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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
14 juin 2022

Derniers réglages avant le départ chez les Massai

Ce matin, nous devons travailler sur le corpus que nous allons devoir éliciter chez nos futurs locuteurs Massai. Hier, Mika nous a fourni un dictionnaire électronique de Massai dans lequel il y a la forme orthographico-phonologique des mots du Massai (l'orthographe est directement phonétique), la traduction en Swahili et en anglais. Par exemple:
a-jó    kusema    to say
or-bófulo    mkate    bread
ɛn-dáa    chakula    food

Un premier point qui nous intéresse sont les consonnes implosives. Une consonne implosive est une consonne occlusive (comme b, d, g) accompagnée d'un flux d'air entrant. Une telle consonne est réalisée avec un abaissement plus ou moins simultané du larynx et ne nécessite donc pas d'air provenant des poumons. L'abaissement provoque une dépression audible lorsque l'air entre de nouveau dans la bouche lors de la désocclusion de la consonne. On en trouve dans à peu près 10 à 15 % des langues. Les Massai en ont 4, ce qui est assez exceptionnel. Essayez de prononcer "or-bófulo" mais sur le /b/, il faut non pas que l'air sorte par la bouche, mais qu'il entre. Pas facile.

On va aussi travailler sur l'harmonie vocalique. Les massai ont 5 voyelles de base i, ou, é, o , a mais les 4 premières peuvent être prononcées avec une avancée de la langue (Advanced Tongue Root, ATR) ou au contraire en reculant/abaissant un peu la langue. /i/ devient /I/ (un /i/ un peu plus en arrière), /é/ devient /è/ (un peu plus ouvert), /o/ devient /ɔ/ (c'est le "o" de rose à la marseillaise), le "ou" devient "ʉ". Ils ont donc 2x4 + "a" = 9 voyelles que nous allons étudier.
Certains mots changent de sens si la voyelle est produite en ATR+ (langue avancée) ou ATR- (langue non avancée). Par exemple,
amít    (+ATR) signifie "refuser" alors que amɨ́t (-ATR) signifie "finir de boire".
     
Le troisième aspect va être les trilles bilabiales, c'est à dire des "r" dans lesquelles ont fait vibrer les lèvres à l'image d'un bruit de moteur. Sauf que en Massai, ce bruit est une consonne. Pour cela, on va utiliser un appareil photo grande vitesse qui permet d'enregistrer plus de 300 images par seconde.

On va enfin enregistrer une série d'interjections et d'idéophones massai. Un idéophone est un concept très présent dans les langues africaines et difficile à comprendre pour les occidentaux (dont moi). Un idéophone est un mot qui rend compte d'une perception. Il ne s'agit pas de reproduire un son comme une onomatopée. J'avoue avoir du mal à faire la différence mais c'est là la spécialité de Mickael et on va donc le suivre sur ce terrain.

Le 5ième aspects sont l'aspect tonal du Massai qui est un langue à tons. C'est là aussi un point qui perturbe les français. Ce type de langue exige que certaines syllabes soient prononcées avec une hauteur précise qui si elle est modifiée, peut changer le sens du mot.

Pour tout ces aspects, nous serons en condition de laboratoire de terrain, c'est à dire avec EVA (je vous la présenterai plus tard).

Le dernier aspect concerne la communication entre les Massai et leur bétail. J'espère qu'on va pouvoir enregistrer ça car là, on sera vraiment dans la savane en vrai. Il y aura peut être même des lions, et il faudra courir très vite sans perdre le micro car j'ai prévu pour cela un super micro canon pour ça et j'espère qu'on va le faire (enregistrer le langage sifflé des Massai, pas courir devant les lions). Je suis même prêt à boire du sang frais de chèvre ou de vache si il le faut. Même pas peur.

Pour préparer tous ces aspects, Didier et moi commençons par un bon petit déjeuner à base de chapati (une sorte de crêpe), de mayai (omelette) et de matunda (fruits). Ce matin c'est papaye et pastèque.

En général, il faut faire gaffe aux aliments crus mais là, on a confiance. Dans tous les cas, j'ai prévu une pharmacie pour les problèmes intestinaux. Jusqu'à présent, tout va bien. On boit beaucoup de bières et donc pas beaucoup d'eau qui est le vecteur numéro un des dysenteries. On est d'acoord qu'une bière est bien meilleure pour la santé qu'un coca.

Vers midi, Mickael vient nous récupérer et nous allons déjeuner ensemble, sommairement car finalement, nous prenons l'habitude de manger peu. Nous soulevons avec lui les problèmes financiers. Négociation à l'africaine. C'est un peu chiant mais on s'y habitue. On passe pour de grosses vaches à lait qu'il faut traire. Il faut juste faire comprendre qu'on a du lait, c'est clair mais on n'est pas non plus un camion citerne. Pour diminuer les frais, Didier et moi allons fonctionner aux frais réels et non au forfait. On va essayer de manger et nous loger avec 25€ chacun par jour, ce qui est faisable. Mika réduit lui aussi ses exigences. De 5000 € de prévisions de frais, nous passons à 2500 €. Tout va bien. Chacun fait un effort et ça fonctionne. On partira en voiture.

Je m'attaque ensuite à la question des batteries. Je m'installe devant la fac, je sors mes panneaux solaires pliants, je connecte le chargeur, je branche les batteries. J'ai tout prévu comme cables, vis, rondelles, écrous. J'ai ce qu'il faut. Ca marche nickel, je suis rassuré. On pourra aller si nécessaire ou l'on veut pour enregister.

 


Direction la banque pour tirer du cash. Je retire 1 200 000 shillings tanzaniens, c'est à dire 120 billets que je place dans une banane en ceinture. On dirait que je suis enceinte (ou que je bois trop de bière effectivement). Pas fier avec cette sommes sur le nombril. Ca permettra de payer les frais de transport pour Arusha. Didier est bloqué de son coté. Il ne comprend pas ce qu'il se passe mais il ne peut pas appeler sa banque en Whatsapp. Il doit donc retourner chez Vodacom pour avoir une autorisation de téléphoner à l'étranger en mode téléphone. Il arrivera à joindre sa banque qui avait relevé ses possibilités de paiement par carte mais pas le retrait de liquide. Quelle plaie ces banques ! On règle le problème et Mickael nous rejoint alors pour rentrer au lodge et préparer nos affaires. Nous avons 10h de voiture pour aller à Arusha et nous partirons à 5h30. Ca va piquer. Mika me demande si j'ai mon permis. Je lui réponds positivement mais je n'ai pas cette fois prévu de permis international. Dans tous les cas, je ne suis pas chaud pour (1) conduire à gauche (comme les anglais), (2) conduire à la tanzanienne c'est à dire prévoir tous les 10 mètres que quelque chose va traverser, (3) je ne suis pas sur d'être couvert au niveau assurance. Mika insiste car effectivement, 10 heures c'est long mais je tiens bon. J'ai pas envie de finir dans une prison à Bagamoyo.  


On atterrit finalement au même bar grillade que la veille et je m'avale mes deux brochettes et mes trois bananes plantins. Ces dernières sont super bonnes. On dirait des patates. Je ne fais pas gaffe que sur un bord d'assiette, la serveuse m'a versé une sauce diaboliquement épicée. J'y trempe un bout de viande, j'avale et j'ai le gosier qui s'enflamme pendant 5 minutes. J'en pleure encore.
Vers 20h30 heure locale, je me rappelle qu'il est 19h30 en France et d'habitude, le mardi à cette heure là, j'ai cours de swahili à distance. Par chance, Roxane, la prof qui nous enseigne avec patience cette langue depuis septembre m'a envoyé un email pour me demander si elle peut communiquer l'adresse du blog aux autres apprenants avec qui, au fil des séances depuis des mois, nous avons finalement établi une forme d'amitiés, de conivences, même si tout se passe en visio à distance. Je lui réponds positivement et lui demande de m'envoyer le lien zoom pour que j'essaye de me connecter. Ca marchera au niveau video mais je n'arriverai pas à avoir le son. On pourra un peu échanger et c'est avec un petit pincement au coeur que je quitterai Roxane, ma mwalimu de kiswahili que je vais regretter car elle a une vraie fibre d'enseignante et donne vraiment la motivation et le niveau pour se débrouiller. Merci Roxane et dommage que tu ne fasses pas le niveau 2. Si un jour je passe à l'INALCO, j'essayerai de passer te dire bonjour. Merci aussi à Carole, Dzeri, Océane, Paul, Astrid, Vahi, Amélie, Claire, Guillaume et tous les autres étudiants pour ces bons moments passés ensembles à essayer de maitriser cette langue si agréable mais loin de nos habitudes. C'est clair que parler un peu swahili change totalement le contact avec les gens. Tu passes du statut du blanc arrogant et exigent au beau gosse sympa. Les serveuses sont mortes de rire quand je demande du wali alors que c'est du pilau, ou que je dis marahage au lieu de maharage (les haricots). Mais clairement, elles apprécient qu'un européen prenne la peine de parler une de leur langue. Merci Roxane.


Nous rentrons finalement au lodge pour préparer nos affaires. La nuit va être courte.



 

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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
  • En juin 2022, Didier Demolin et Alain Ghio partent en mission de terrain en Tanzanie. L'objectif est de recueillir avec des appareils de laboratoire des enregistrements de parole chez les Massai.
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