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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
17 juin 2022

Premier jour au village Massai

Je suis le premier à me lever. Je prends une douche et pioche dans mes vêtements. La réserve d'habits propres est basse. Ca fait 10 jours que je suis parti et étant donné le matériel qu'on devait emporter, j'ai reduit les effets personnels au minimum. J'ai pris 5 sous-vêtements, 3 chemises, 3 pantalons pour 3 semaines. Faut que je fasse une lessive des sous vêtements. Je demanderai ce soir à la logeuse si elle peut nous faire une lessive pour les pantalons et chemises car dans un petit lavabo, c'est galère.

La veille, j'ai mis à charger tout ce qui se charge comme appareils électriques : ordinateurs, caméras, appareils photos, électroglotto... J'emballe tout et nous voilà partis pour le village natif de Mickael. C'est à environ 20 km. Il fait gris et pour les locaux, il fait froid. En fait, il fait environ 20 °C. On rentre en pays Massai. Je suis effrayé de constater que la majorité des cultures de maïs est brulée par le soleil. Je connais ça pour mon potager, sauf que dans mon cas, c'est pas grave. Pour eux, c'est leur pain quotidien qui ne poussera pas. Mickael est inquiet car la Tanzanie dépend aussi beaucoup du blé ukrainien qui lui non plus ne viendra pas. Ca fait beaucoup d'un coup. Sur la route, on voit passer des convois chargés de sacs de riz. Ils vont au Kenya ou certaines régions commencent à souffrir de famine. Contact fracassant avec la réalité. Quand je pense que le Kenya est un gros producteur de roses qui se retrouvent en Europe chez nos fleuristes. Promis Marion, pour la St Valentin, je ne t'achèterai pas de roses mais je t'offrirai un arbre à planter en Tanzanie ou au Kenya.

 

On débouche sur un immense plateau : c'est la steppe Massai qui aujourd'hui est balayée par le vent. Incroyable, au moment où on arrive sur place, commence la chanson "Dust in the wind" de Kansas. Pour nous faire plaisir, Mickael nous avait préparé une playlist de ballades des années 80'.

Dust in the wind, c'est peu dire. Le sol est formé d'une espèce de sable qui ne produit que de la poussière. Tu m'étonnes que les plantes aient du mal à pousser. La moindre pluie s'infiltre et le sol ne retient rien. Mickael confirme que même en saison de pluie, il n'y a pas de boue. Les Massai sont avant tout des éleveurs et l'agriculture n'est pas vraiment dans leur culture. A ce sujet, ils font venir des Iraqw chez eux car eux, sont d'excellents cultivateurs. Effectivement, notre passage chez eux en 2020 m'a laissé l'image d'une communauté largement pourvue en ressources alimentaires. A l'entrée du village, on croise des groupes d'enfants couverts de poussières de la tête aux pieds. Je serai moi même couvert de poussière en fin de journée au point de ne plus reconnaitre mes chaussures bleues devenues... sables.

 

 

A l'entrée du village, c'est Checkpoint Charlie. Mickael nous invite à rencontrer les personnalités du village qui nous accueillent chaleureusement. Si j'ai bien compris, l'homme en bleu est l'oncle de Mickael mais il l'appelle "baba", c'est à dire papa. Dans tous les cas, il ne faut pas chercher à comprendre les liens de parenté. C'est trop compliqué à comprendre pour nous occidentaux. En plus, les Massai sont polygames et le père de Mickael avait trois femmes. Le père de sont père en avait six. Pour plaisanter, Mickael dit que si on suit la progression, il en aura une et demie. La société Massai est très patriarcale, y compris au niveau langage. Les interjections sont genrées et une femme ne doit jamais élever la voix devant un homme. Je vois bien que Mickael est la génération où les choses basculent entre tradition et modernité. C'est d'ailleurs le coeur du problème social des Massai et autres peuples du continent : comment faire vivre les traditions ancestrales dans un monde hyper connecté où on peut retirer de l'argent avec son téléphone ? Le défi est immense pour cette génération.

 

L'autre drame des Massai est que la scolarisation en Tanzanie est en Swahili de façon exclusive, à l'image du système éducatif français du XIX siècle, qui a éradiqué toutes les langues régionales. Ca part là aussi d'un bon sentiment d'unité nationale. La Tanzanie a plus d'une centaine de langues et le Swahili est la lingua franca qui permet à tous de communiquer. Dommage qu'une politique de multilinguisme à l'école ne soit pas envisagée. Vaste problème. Le problème s'accroit dans le secondaire où c'est l'anglais qui prend le relai de façon exclusive. Donc de base, un collégien/lycéen est trilingue. Nous apprenons aujourd'hui que Mickael a aussi appris un peu le français car il avait postulé pour une bourse d'étude au Québec. Son histoire est d'ailleurs incroyable. Il est né dans ce village, avec un père traditionnel qui accédait à l'age adulte en tuant un lion à la main.

Le père de Mickael est à gauche sur cette vieille photo

Un jour il a dit à son père qu'il voulait aller à l'école. Pour pouvoir faire cela, il devait garder le troupeau le reste du temps car la richesse Massai se compte en têtes de bétail. Motivé jusqu'aux bouts de ongles, il a suivi une scolarisation primaire, secondaire puis universitaire. Il est parti ensuite trois ans faire une thèse en Afrique du Sud d'où il est revenu avec un doctorat en linguistique. Il a pu ainsi être engagé à l'Université de Dar Es Salaam où il poursuit une belle carrière en ayant été désigné directeur du département de "Communication" trois ans après sa thèse. L'Afrique est jeune et la jeunesse est rapidement mise à contribution sans complexe.

 Une fois les présentations faites, on reprend la voiture et on arrive dans ce que j'appelle le kraal de famille. Il s'agit d'un ensemble d'habitations, enclos, barrières, haies végétales qui permet de fermer cet espace, y vivre y compris pour le bétail. Le concept est le même et ressemble au niveau structurel à l'endroit où nous logions à Kwermusl chez les Iraqw. La différence est la poussière pour les Massai, l'herbe pour les Iraqw.

Comme on est pas venu là pour faire du tourisme, on se met au boulot et on s'installe dans une pièce qui est centrale. Les murs sont recouverts de coupures de journaux qui font office de papier peint. Ici, on est fan du Simba Football Club. C'est bon à savoir.

 

Notre premier locuteur sera "Joel", 26 ans, frère de Mickael mais pas de la même mère. Il est professeur de mathématiques et chimie dans une école à flanc du Mont Meru. Il vient d'être papa et c'est la raison pour laquelle il est là aujourd'hui. Pour la production des données acoustiques, c'est un très bon locuteur qui comprend parfaitement les consignes. Il est OK pour faire les mesures de pression et accepte de s'enfiler la sonde de pression dans le nez. Hélas, il butera à quelques centimètres du but, probablement en n'arrivant pas à passer le voile du palais. Dommage. Nous récolterons malgré tout de belles données, y compris des labiofilms sur la production d'interjections sifflées porteuses de sens.

 

 

 


Notre second locuteur sera Pendaeli, 26 ans aussi mais peu scolarisé. Terrorisé par les mésaventures de Joel, il ne voudra pas essayer la sonde. Pareil. De belles données mais incomplètes pour nous. C'est ça le terrain. Tu t'adaptes au milieu.

Entre les deux locuteurs, nous allons manger au township du coin, une sorte d'agglomérats de maisons et boutiques au bord de la route, véritable centre commercial local. On cherche à manger et on atterrira dans un boui boui où nous mangerons deux chapati accompagnés de thé. Pour Didier et moi, ça suffit. Marre de manger de la viande à tous les repas. C'est ça vivre avec des éleveurs de bétails. Au passage, nous rencontrerons John Steed version Tanzanienne. J'aurais aussi l'occasion de me faire un petit foot avec les écoliers du coin qui nous suivront tout le long de notre recherche de nourriture.

 

Nous finirons l'après-midi pas mal crevés. Didier fera de superbes portraits dont il a le secret.

En rentrant à Arusha, nous avons une belle vue dégagée sur le Mont Meru et sur la steppe Massai balayée par le vent.

 

Nous ferons un passage par un garage pour trouver une solution à la perte d'huile du système hydraulique de la direction assistée de la voiture de Mickael. Pas moins de huit garagistes se pencheront sur le problème. Voilà pourquoi le chomage n'existe pas en Tanzanie.

En rentrant à l'hotel, je me reconnecte à nouveau à Internet et une super nouvelle m'attend. Nathan, mon fils ainé, vient d'être accepté en BTS pour les métiers du son et de l'image à Cannes. Il y avait 600 candidats pour 6 places. Hier, il était classé 7ème et je lui avais écrit que je demanderais aux Massai d'égorger un coq pour ensorceler l'un des 6 premiers. Apparemment, ça a marché. Bravo Nathan. Je suis super content pour toi. Comme quoi, faut toujours croire à ses rêves, surtout si ils semblent inaccessibles.

 

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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
  • En juin 2022, Didier Demolin et Alain Ghio partent en mission de terrain en Tanzanie. L'objectif est de recueillir avec des appareils de laboratoire des enregistrements de parole chez les Massai.
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