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Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
20 juin 2022

Retour au village

Aujourd'hui, on a demandé à Michael de pouvoir à nouveau enregistrer des femmes. Nous avons sept locuteurs mais seulement deux locutrices. Le seul endroit pour enregistrer des femmes Massai est d'aller au village. Je comprends entre les lignes qu'il est inconvenant pour l'une d'entre elle de venir dans un lodge faire des expériences, notamment avec des wazungu. Nous replions donc le matériel et repartons vers le pays de la poussière.

On s'arrête en route pour acheter à manger pour midi. Je tombe sur une palette de bouteilles vides de coca et soda. Ouf, ici, ils continuent à consigner les bouteilles en verre au lieu de multiplier les déchets plastiques. Finalement, ils ont dix ans d'avance sur nous en matière de recyclage et de réduction des déchets.

Je prends aussi le temps de photographier une superbe église chrétienne, probablement évangéliste mais je n'en suis pas certain. La religion chrétienne est assez présente ici mais essentiellement dans la mouvance protestante avec notamment un fort prosélytisme. Au niveau des études linguistiques, cela nous pose un problème car il existe un organisme qui s'appelle la SIL (Summer Institute of Linguistics) qui est une organisation chrétienne évangélique à but non lucratif dont le but principal est d'étudier, de développer et de documenter les langues, en particulier celles qui sont moins connues, afin d'élargir les connaissances linguistiques, de promouvoir l'alphabétisation, traduire la Bible chrétienne dans les langues locales et aider au développement des langues minoritaires. Notre problème est que si nous souhaitons étudier une langue dont la population est sous l'égide de la SIL, nous sommes un peu bloqués, notamment car notre objectif n'est pas de traduire la bible. C'est exactement ce qui nous arrive pour notre projet sur le Sandawe qui est une langue à clics que nous souhaiterions intégrer dans notre projet.

Nous arrivons au village et sortons le matériel de la voiture pour nous installer. Au passage, je prends une photo de la technologie africaine en terme de conception d'enceintes audio. Là encore, du pur recyclage qui, j'en suis sûr doit bien fonctionner.

Nous commençons notre séance avec Ndendila, 60 ans environ.

Tout se passe bien jusqu'à ce que l'électroglottographe commence à faire n'importe quoi. Cet appareil sert à mesurer l'accolement des cordes vocales. On pose deux électrodes au niveau du larynx. L'appareil injecte un courant très faible qui passe bien quand les cordes vocales se touchent et moins bien quand elles s'écartent. Il permet une très bonne représentation du cycle d'oscillation des cordes vocales, et permet une bonne mesure de sa fréquence car il est dénué de bruits aérodynamiques (détails dans http://www2.lpl-aix.fr/~ghio/pedago-EggFR.htm). Par sécurité, le dispositif fonctionne sur batteries de façon à ce que la personne ne soit pas en contact avec le courant électrique du secteur. Malheureusement, cet appareil, que j'ai récupéré au labo de phonétique de Paris juste avant notre départ, a des batteries défectueuses qui mériteraient d'être changées. Voilà ce qui arrive quand on ne prépare pas assez une opération de terrain ou quand une partie des outils n'est pas sous votre contrôle. Tant pis, on fait avec.

Panne de glotto en direct.

Arrive ensuite Magadalena. C'est une soeur de Michael.

Elle a, avec elle, un jeune enfant qu'une des mamans du kraal gardera pendant l'enregistrement. Deux choses me turlupinent sur cette technique de maintien des bébés. Comment arrivent-elles à mettre le bébé dans le dos toutes seules ? Je suis sûr que si j'essayais, je le ferai glisser un coup sur deux, ce qui n'est pas conseillé. Qu'est-ce qu'il se passe quand il fait pipi ou caca ? Car c'est sur, les couches jetables n'existent pas ici. J'essayerai d'avoir la réponse avant de partir.

Comme d'habitude, nous enregistrons en audiovisuel le consentement des participants.

Tout ira bien à part cette histoire de glotto capricieux.

On finit dans l'après-midi. Les femmes nous apportent alors le repas. C'est comme ça chez les Massai. Pas question de faire la cuisine ou même débarasser les assiettes. Michael me "réprimandera" quand je ferai mine de le faire. Au menu, des avocats tombés de l'arbre et de la viande bien sûr.

 

Nous comprenons que la journée est finie et que nous en resterons là. Nous voulions enregistrer Michael comme dernier locuteur mais il ne semble pas motivé. Je le comprends. Pour pouvoir partir en mission avec nous, il fait son travail administratif d'enseignant-chercheur universitaire entre cinq et huit heures du matin.

Nous parlons un peu de politique car les résultats des élections législatives en France me préoccupent, notamment le carton plein du front national en région Sud. Il nous confie qu'en ce moment, il y a de violents affrontements entre le gouvernements et les Massai. En effet, le gouvernement tanzanien est en train de chasser les Massai de la région ancestrale du Ngorongoro, qui est une réserve naturelle. En premier abord, en occidental écolo, on pourrait se féliciter de cette opération de préservation de la biodiversité. Mais cette vision est complètement décalée. Primo, les Massai vivent de façon ancestrale en éco système avec la faune sauvage. Deuxio, ce sont plus de 50 000 personnes qui vont être déracinées et "déplacées" dans des régions peu peuplées du Tanga. C'est violent et ça a un relent de passé européen nauséabond. Tertio, cette préservation va permettre de faire venir un max de touristes qui viendront se prendre en photo devant les zèbres, les girafes et autres big five. Il y a même un projet de louer une partie du territoire pour en faire une réserve de chasse pour les émirs du golfe. Voir détails. Car c'est certain, le tourisme des safari est une manne financière énorme pour la Tanzanie. Voici ci-dessous quelques prix de la location d'un logement pour une nuit dans le Serengeti sachant que (1 250 000 TZS = 500 €).

Imaginons nous en France avec un gouvernement qui veuille faire du Parc National du Verdon une réserve naturelle inhabitée pour le plaisir de richissimes kayakistes, parapentistes, grimpeurs de falaises ou pour donner des sensations de nature sauvage à des émirs du golfe. On évacue Vinon, Gréoux, St Julien du Verdon (dommage pour toi Yo), Moustiers, Castellane, Comps... direction, la plaine de la Crau entre Salon et Arles. Des tentes sont prévues mais par certain qu'elles résistent au mistral.

C'est compliqué tout ça. Michael est lui même pris dans ses contradictions. Il regrette la perte des traditions mais il a un mode de vie plus moderne que le mien. Il nous fait manger dans les restau branchés bling-bling de Dar et d'Arusha. On écoute du rap tanzanien de longue...  Compliqué tout ça.

Il nous invite à découvrir le domaine de son père qui possède beaucoup de terres aux alentours. Il nous montre l'endroit où peut être il viendra faire construire sa maison. Mika est vraiment un modèle pour tous les enfants du coin. C'est le petit gardien de vaches qui est devenu Professeur à l'Université de Dar Es Salaam.

 

Il nous explique que son père a été très moderne. Il a compris que pour survivre, les Massai devaient faire de l'agriculture en complément de l'élevage. Il a donc transformé les environs en champs. Hélas, cette année, c'est la catastrophe. Pas assez d'eau. Je lui demande si il y a possibilité d'irriguer. Il me répond que non. Pourtant, au loin, on aperçoit le Mont Meru et j'imagine qu'à la saison des pluies, ça doit dévaler. Mais là encore, c'est pas simple.

L'après-midi touche à sa fin, on remballe tout et on quitte "dustland", le pays de la poussière.

Mika prend un autre chemin pour rentrer. Il prend le périph d'Arusha, une route nouvelle qui contourne la ville et autour de laquelle se construisent des résidences nouvelles. Ca ne vous rappelle rien ?

Au bout d'un moment, il met son clignotant à droite et emprunte une route en terre. Il veut nous montrer une autre partie de sa famille. C'est l'endroit où deux des femmes de son grand-père se sont installées (si j'ai bien compris).

C'est un village complet de "frères" et "d'oncles" à l'africaine qui défile.

 

Rencontres arrosées par une eau fraiche du Kilimandjaro.

Et en repartant, on s'arrête sur un chemin pour faire la vidange et qu'est ce qu'on voit au loin de façon exceptionnellement claire : le mont Meru

Puis en tournant la tête à droite, je demande à Michale "what is the name of this mountain on the right ?"

Il s'écrit  : le Kilimandjaro !

Maskini ! Il n'a vraiment plus beaucoup de neige.

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Commentaires
M
passionnant ce blog<br /> <br /> on a l'impression d'y être
Répondre
Alain et Didier en mission en Tanzanie - saison 2 (2022)
  • En juin 2022, Didier Demolin et Alain Ghio partent en mission de terrain en Tanzanie. L'objectif est de recueillir avec des appareils de laboratoire des enregistrements de parole chez les Massai.
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